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sait ; ou plutôt il lui manquait ce qu’il faut pour plaire ; ses traits étaient réguliers, mais mous ; ses yeux grands et bien fendus, mais inanimés. Telle fut du moins l’impression qu’il me produisit.

La cloche dispersa les invités, et ce ne fut qu’après le dîner que je revis l’étranger ; ses manières n’étaient plus gênées, mais sa figure me plut moins encore qu’avant ; ses traits étaient à la fois immobiles et désordonnés ; ses yeux erraient sur tous les objets, sans même en avoir conscience ; son regard était étrange. Bien que sa figure fût assez belle et assez aimable, elle me repoussait ; ce visage ovale manquait de puissance ; cette petite bouche vermeille, de fermeté ; il n’y avait rien de pensif dans ce front bas ; ces yeux bruns et troubles n’exprimaient jamais le commandement.

Assise à ma place ordinaire, je pouvais le voir facilement, car il était éclairé en plein par les candélabres de la cheminée ; il s’était placé dans le fauteuil le plus près du feu, et s’avançait de plus en plus vers la flamme, comme s’il avait froid. Je le comparai à M. Rochester ; il me semble qu’entre un jars bien lisse et un faucon sauvage, entre une douce brebis et son gardien, le dogue à la peau rude et à l’œil aiguisé, la différence ne doit pas être beaucoup plus grande.

Il avait parlé de M. Rochester comme d’un ancien ami ; curieuse amitié ! Preuve évidente de la vérité de l’ancien dicton : les extrêmes se touchent.

Deux ou trois messieurs l’entouraient, et j’entendais de temps en temps des fragments de leur conversation ; d’abord je ne pus pas bien comprendre. Louisa Eshton et Mary Ingram, qui étaient assises près de moi, m’empêchaient de tout entendre ; elles aussi parlaient de l’étranger ; toutes les deux le trouvaient très beau ; Louisa prétendait que c’était une charmante créature et qu’elle l’adorait ; Marie faisait remarquer son nez délicat et sa petite bouche, qui lui semblaient d’une beauté idéale.

« Comme son front est doux ! s’écria Louisa ; son visage n’a aucune de ces irrégularités que je déteste tant ; quelle tranquillité dans son œil et dans son sourire ! »

À mon grand contentement, M. Henry Lynn les appela à l’autre bout de la chambre pour leur parler de l’excursion projetée à la commune de Hay.

Je pus alors concentrer toute mon attention sur le groupe placé près du feu ; j’appris que le nouveau venu s’appelait M. Mason, qu’il venait de débarquer en Angleterre, et qu’il arrivait d’un pays chaud ; je m’expliquai alors la couleur de sa figure, son empressement à s’approcher du feu, et je compris