Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

conduite, mademoiselle Eyre ! Battre un jeune noble, le fils de votre bienfaitrice, votre maître !

— Mon maître ! Comment est-il mon maître ? Suis-je donc une servante ?

— Vous êtes moins qu’une servante, car vous ne gagnez pas de quoi vous entretenir. Asseyez-vous là et réfléchissez à votre faute. »

Elles m’avaient emmenée dans la chambre indiquée par Mme Reed et m’avaient jetée sur une chaise.

Mon premier mouvement fut de me lever d’un bond : quatre mains m’arrêtèrent.

« Si vous ne demeurez pas tranquille, il faudra vous attacher, dit Bessie. Mademoiselle Abbot, prêtez-moi votre jarretière ; car elle aurait bientôt brisé la mienne. »

Mlle Abbot se tourna pour débarrasser sa vigoureuse jambe de son lien. Ces préparatifs et la honte qui s’y rattachait calmèrent un peu mon agitation.

« Ne la retirez pas, m’écriai-je, je ne bougerai plus. »

Et pour prouver ce que j’avançais, je cramponnai mes mains à mon siège.

« Et surtout ne remuez pas, » dit Bessie.

Quand elle fut certaine que j’étais vraiment décidée à obéir, elle me lâcha. Alors elle et Mlle Abbot croisèrent leurs bras et me regardèrent d’un air sombre, comme si elles eussent douté de ma raison.

« Elle n’en avait jamais fait autant, dit Bessie en se tournant vers la prude.

— Mais tout cela était en elle, répondit Mlle Abbot ; j’ai souvent dit mon opinion à madame, et madame est convenue avec moi que j’avais raison ; c’est une enfant dissimulée ; je n’ai jamais vu de petite fille aussi dépourvue de franchise. »

Bessie ne répondit pas ; mais bientôt s’adressant à moi, elle me dit :

« Ne savez-vous pas, mademoiselle, que vous devez beaucoup à Mme Reed ? elle vous garde chez elle, et, si elle vous chassait, vous seriez obligée de vous en aller dans une maison de pauvres. »

Je n’avais rien à répondre à ces mots ; ils n’étaient pas nouveaux pour moi, les souvenirs les plus anciens de ma vie se rattachaient à des paroles semblables. Ces reproches sur l’état de dépendance où je me trouvais étaient devenus des sons vagues pour mes oreilles ; sons douloureux et accablants, mais à moitié inintelligibles. Mlle Abbot ajouta :

« Vous n’allez pas vous croire semblable à M. et à Mlles Reed