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— Si vous en disiez, ce serait d’une manière si tranquille et si grave, que je ne m’en apercevrais pas. Est-ce que vous ne riez jamais, mademoiselle Eyre ? Ne vous donnez pas la peine de répondre ; je vois que vous riez rarement, mais que néanmoins vous pouvez le faire, et même avec beaucoup de gaieté. Croyez-moi, la nature ne vous a pas plus faite austère qu’elle ne m’a fait vicieux ; vous vous ressentez encore de la contrainte de Lowood, vous composez votre visage, vous voilez votre voix, vous serrez vos membres contre vous, et vous craignez devant un homme qui est votre frère, votre père, votre maître, ou ce que vous voudrez enfin, vous craignez que votre sourire ne soit trop joyeux, votre parole trop libre, vos mouvements trop prompts. Mais bientôt, je l’espère, vous apprendrez à être naturelle avec moi, parce qu’il m’est impossible de ne pas l’être avec vous ; alors vos mouvements et vos regards seront plus vifs et plus variés. Quelquefois, vous jetez autour de vous un coup d’œil curieux comme celui de l’oiseau qui regarde à travers les barreaux de sa cage ; vous ressemblez à un captif remuant, résolu, qui, s’il était libre, volerait jusqu’aux nuages ; mais vous êtes encore courbée sur votre route.

— Monsieur, neuf heures ont sonné.

— N’importe, attendez une minute. Adèle n’est pas prête à aller se coucher. Je viens d’examiner ce qui se passait ici ; pendant que je vous parlais, j’ai regardé Adèle de temps en temps (j’ai mes raisons pour la croire curieuse à étudier, et ces raisons je vous les dirai un jour). Il y a dix minutes environ, elle a tiré de sa boîte une petite robe de soie rose ; aussitôt ses traits se sont illuminés. La coquetterie coule dans son sang, remplit son cerveau et nourrit la moelle de ses os. « Il faut que je l’essaye, » s’est-elle écriée, et, à l’instant même, elle est sortie de la chambre pour aller se faire habiller par Sophie ; dans quelques minutes elle rentrera. Je le sais, je vais voir une miniature de Céline Varens dans le costume qu’elle portait sur le théâtre au commencement de… Mais n’y pensons plus, et pourtant ce qu’il y a de plus tendre en moi va recevoir un choc, je le pressens ; restez ici pour voir si j’ai raison. »

Au bout de quelques minutes, on entendit les pas d’Adèle dans la grande salle. Elle entra transformée comme me l’avait annoncé son tuteur : une robe de satin rose très courte et très ornée dans le bas avait remplacé sa robe brune ; une couronne de boutons de roses entourait son front ; elle était chaussée de bas de soie et de souliers de satin blanc.

« Est-ce que ma robe va bien ? s’écria-t-elle en bondissant,