— Bien pensé et bien dit, mademoiselle Eyre, et dans ce moment je pave l’enfer de bonnes intentions.
— Monsieur ?
— Oui, je prends de bonnes résolutions que je crois aussi durables que le bronze. Mes actes seront différents de ce qu’ils ont été jusqu’ici.
— Et meilleurs ?
— Oui, meilleurs. Vous semblez douter de moi, et pourtant moi, je ne doute pas ; je connais mon but et mes motifs ; et, dès ce moment, je fais une loi inaltérable comme celle des Mèdes et des Perses, pour déclarer que l’un et les autres sont droits.
— Ils ne le sont pas, monsieur, puisque vous avez besoin pour eux de lois nouvelles.
— Vous vous trompez, mademoiselle Eyre ; des combinaisons et des circonstances inouïes demandent des lois inouïes.
— C’est une maxime dangereuse, monsieur ; car il est facile d’en abuser.
— Vous avez raison, philosophe sentencieux ; mais je jure sur tout ce qui m’appartient que je n’en abuserai pas.
— Vous êtes homme et faillible.
— Oui, de même que vous ; eh bien ! après ?
— Les hommes faillibles ne devraient pas s’arroger un pouvoir qui ne peut être sûrement confié qu’aux êtres parfaits et divins.
— Quel pouvoir ?
— Celui de dire de toute action, quelque étrange qu’elle soit : Ce sera bien.
— Oui, repartit M. Rochester, vous l’avez dit, je déclare que ce sera bien.
— Dieu fasse que ce soit bien ! » répondis-je en me levant, car je trouvais inutile de continuer une conversation si obscure pour moi.
Je comprenais d’ailleurs que je ne pouvais arriver à pénétrer le caractère de mon interlocuteur, du moins pour le moment, et je sentais enfin cette incertitude, ce vague sentiment de malaise qu’entraîne toujours la conviction de son ignorance.
« Où allez-vous ? me demanda M. Rochester.
— Coucher Adèle, répondis-je ; il est plus que temps.
— Vous avez peur de moi, parce que mes paroles ressemblent à celles du Sphinx.
— Vous parlez en effet par énigmes ; mais, bien que je sois étonnée, je n’ai pas peur.
— Si, vous avez peur ; votre amour-propre craint une méprise.
— Dans ce sens-là, oui, j’ai peur ; je désire ne pas dire de sottises.