Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/145

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Qu’en savez-vous ? vous ne l’avez jamais goûté. Comme votre regard est sérieux et solennel ! et vous êtes aussi ignorante de tout ceci que cette tête de porcelaine, dit-il en en prenant une sur la cheminée. Vous n’avez pas le droit de me prêcher, néophyte qui n’avez pas passé le seuil de la vie, et qui ne connaissez aucun de ses mystères.

— Je ne fais que vous rappeler vos propres paroles, monsieur ; vous avez dit que la faute conduisait au remords, et que le remords était le poison de la vie.

— Eh ! qui parle de faute ? je ne pense pas que l’idée que je viens de concevoir soit une faute ; c’est plutôt une inspiration qu’une tentation ; oh ! elle était douce et calmante ! la voilà qui revient encore. Ce n’est pas l’esprit du mal qui me l’a inspirée, ou bien alors il a revêtu la robe d’un ange ; il me semble que je dois admettre un tel hôte lorsqu’il me demande l’entrée de mon cœur.

— Défiez-vous de lui, monsieur, ce n’est pas un ange véritable.

— Encore une fois, qu’en savez-vous ? Par quel instinct prétendez-vous distinguer le séraphin déchu du messager de l’Éternel ; le guide, du séducteur ?

— J’ai jugé d’après votre apparence, qui était troublée au moment où vous avez dit que la même pensée vous revenait, et je suis persuadée que, si vous agissez selon votre désir, vous deviendrez plus malheureux encore.

— Pas du tout ; cet ange m’a apporté le plus gracieux message du monde. Du reste, vous n’êtes pas chargée de ma conscience, ainsi donc ne vous troublez pas. Entre, joyeux voyageur ! »

Il semblait parler à une vision aperçue de lui seul ; puis il croisa ses bras sur sa poitrine comme pour embrasser l’être invisible.

« Maintenant, continua-t-il en s’adressant à moi, j’ai reçu le pèlerin ; je crois que c’est une divinité déguisée ; il m’a déjà fait du bien : mon cœur était tout charnel, le voilà devenu un reliquaire.

— À dire vrai, monsieur, je ne vous comprends pas du tout ; je ne puis pas continuer cette conversation, elle n’est plus à ma portée. Je ne sais qu’une chose : c’est que vous n’êtes pas aussi bon que vous le désirez et que vous regrettez votre imperfection ; je n’ai compris qu’une chose : c’est que les souillures de votre passé étaient une torture pour vous. Il me semble que, si vous le vouliez, vous seriez bientôt digne d’être approuvé par vous-même et que si, à partir de ce jour, vous preniez la résolution de modifier vos actes et vos pensées, au bout de quelques années vous auriez un passé pur et que vous pourriez contempler avec joie.