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et la lumière imparfaite d’une petite fenêtre permettait de voir des lits séculaires, des coffres en chêne ou en noyer qui, grâce à leurs étranges sculptures représentant des branches de palmier ou des têtes de chérubins, ressemblaient assez à l’arche des Hébreux ; des chaises vénérables à dossiers sombres et élevés, d’autres sièges plus vieux encore et où l’on retrouvait cependant les traces à demi effacées d’une broderie faite par des mains qui, depuis deux générations, étaient retournées dans la poussière du cercueil. Tout cela donnait au troisième étage de Thornfield l’aspect d’une demeure du passé, d’un reliquaire des vieux souvenirs. Dans le jour, j’aimais le silence et l’obscurité de ces retraites ; mais je n’enviais pas pour le repos de la nuit ses grands lits fermés par des portes de chêne ou enveloppés d’immenses rideaux, dont les broderies représentaient des fleurs et des oiseaux étranges ou des hommes plus étranges encore. Quel caractère fantastique eussent donné à toutes ces choses les pâles rayons de la lune !

« Les domestiques dorment-ils dans ces chambres ? demandai-je.

— Non, ils occupent de plus petits appartements sur le derrière de la maison ; personne ne dort ici. S’il y avait des revenants à Thornfield, il semble qu’ils choisiraient ces chambres pour les hanter.

— Je le crois. Vous n’avez donc pas de revenants ?

— Non, pas que je sache, répondit Mme Fairfax en souriant.

— Même dans vos traditions ?

— Je ne crois pas ; et pourtant on dit que les Rochester ont été plutôt violents que tranquilles ; c’est peut-être pour cela que maintenant ils restent en paix dans leurs tombeaux.

— Oui ; après la fièvre de la vie, ils dorment bien, murmurai-je. Mais où donc allez-vous, madame Fairfax ? demandai-je.

— Sur la terrasse. Voulez-vous venir jouir de la vue qu’on a d’en haut ? »

Un escalier très étroit conduisait aux mansardes, et de là une échelle, terminée par une trappe, menait sur les toits. J’étais de niveau avec les corneilles, et je pus voir dans leurs nids. Appuyée sur les créneaux, je me mis à regarder au loin et à examiner les terrains étendus devant moi. Alors j’aperçus la pelouse verte et unie entourant la base sombre de la maison ; le champ aussi grand qu’un parc ; le bois triste et épais séparé en deux par un sentier tellement recouvert de mousse, qu’il était plus vert que les arbres avec leur feuillage ; l’église, les portes, la route, les tranquilles