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uns de destituer que de conserver par les autres.

Le plus attaqué dans mon troupeau par le parti du progrès, qui le croirait ? c’était l’illustre M. Poisson, le premier géomètre de l’Europe. Membre du conseil royal de l’instruction publique et chargé, à ce titre, du maniement de nos humbles finances qui n’exigeaient pas, à coup sûr, une tête aussi puissante, j’étais chaque jour sommé de frapper sur lui, qui le croirait encore ? en qualité de jésuite. Ces choses allèrent au point qu’un matin je vis entrer dans mon cabinet un savant non moins illustre, M. Arago (il était alors des nôtres) pour me supplier de sauver M. Poisson, et de ne point céder à l’orage.

Je ne pus me défendre d’un grand éclat de rire. « Pour qui me prenez-vous ? lui dis-je, et pensez-vous que j’aie envie de passer à la postérité pour avoir sacrifié M. Poisson, à titre d’adepte du frère Bauny ou de Saint-Ignace de Loyola ? Ce serait une belle prouesse. »

M. Arago rassuré se prit lui-même à rire ; mais telle était, au premier moment, la panique dans le monde savant, que je reçus, presque en même temps, une lettre de M. Cuvier, alors en Angleterre, lettre par laquelle il me recommandait sa position