Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pleine émeute ; la ville retentissait de la marche des trains d’artillerie et fourmillait de patrouilles ; nous entendions tout autour de nous la fusillade ; elle se rapprochait d’instant en instant ; nous n’avions pour toute sauvegarde qu’une garde nationale qui faisait chorus avec l’émeute, et nous chargeait d’imprécations. Je ne crains pas de l’affirmer, néanmoins l’oppression morale était beaucoup moindre qu’en 1815 ; si elle eût été la même, je ne sais trop ce qui serait arrivé des ministres de Charles X.

L’arrêt rendu, il fallut le signer. Plusieurs pairs qui s’étaient abstenus, c’est-à-dire qui avaient refusé de voter, refusèrent de signer. En cela, ils étaient conséquents sans doute ; mais pensaient-ils à autre chose qu’à eux-mêmes, à dégager leur propre responsabilité ? Je le laisse à juger.

Quant à moi, je n’hésitai pas. J’avais pris part au jugement et voté librement sur la culpabilité, sur la peine, sur tous les incidents du procès. Mon avis n’avait point prévalu mais cela ne me dispensait pas de poursuivre régulièrement et jusqu’au bout mon rôle de juge. Je signai. Où en serait la justice, si la minorité ne se soumettait pas à la majorité ?