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ne dis pas plus de chance, car, de chance, il n’y en avait jamais eu. L’Europe entière s’ébranlait pour fondre sur nous. Ce n’était pas le moment de s’éloigner.

J’assistai le 1er juin au champ de Mai ; il eut lieu au champ de Mars. J’y assistai de loin, n’ayant point goût à la cohue, moins encore à la parade. « Il y a, disait Chamfort, trois choses que je hais au propre et au figuré : le bruit, le vent et la fumée. » Je suis de l’avis de Chamfort.

Je vis passer l’escouade impériale, en grand habit de gala, plumets au vent, chapeaux retroussés, petits manteaux à l’espagnole, pantalons de satin blanc, souliers à bouffettes et le reste. Cette mascarade, aux approches d’une telle crise, lorsque la France était sur le point de se voir envahie et dépecée, du fait et pour les beaux yeux de ces beaux seigneurs, cette mascarade, dis-je, m’inspira autant d’indignation que de mépris.

Je vis passer la garde et quelques régiments de ligne l’air martial, la démarche fière, le front soucieux, comme gens prêts à jouer une partie à quitte ou double. En défilant devant l’empereur, leur regard brillait d’un feu ardent et sombre on croyait voir errer sur leurs lèvres Morituri te salu-