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ment, avec les protestations dont on n’était pas avare, le départ avait ce caractère. Il était aisé de voir, à travers les croisées, les allées et venues, la précipitation, le désarroi des gens qui croyaient entendre, d’instant en instant, le pas de charge des grenadiers impériaux. En voyant ce petit homme, si grand de cent victoires, à la tête d’une poignée de vieilles moustaches, renverser d’une chiquenaude un château de cartes, démantibuler d’un coup de pied une décoration d’opéra, je me rappelais involontairement cette scène du roman de Cervantès, ou le héros de la Manche, entrant dans une loge de marionnettes, et voyant une poupée vêtue en princesse enchaînée à un géant de carton, tire sa grande épée et pourfend le donjon et les prisonniers, le bateleur et sa boutique.

Le lendemain du départ de celui qu’on laissait partir, et le jour de l’arrivée de celui qu’on laissait venir fut encore plus triste que la veille. Paris était lugubre : les places publiques désertes, les cafés, les lieux de réunion à demi fermés ; les passants s’évitaient ; on ne rencontrait guère dans les rues que des militaires attardés, des officiers en goguette et des soldats en ribotte, criant, chantant la Marseillaise, éternel refrain des tapageurs, offrant