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Je m’entretenais aussi très souvent avec lui de son ouvrage sur les religions, dont il préparait déjà la publication, mais qui n’a paru que plus tard. Sous ce rapport, il s’était également opéré un grand changement dans son esprit. Ce n’était plus ce sceptique en herbe, cet échappé du collège, déjà blasé sans avoir de barbe au menton, dégoûté de tout avant d’avoir goûté à quelque chose, tel, en un mot, que nous le voyons poindre et grandir dans sa triste correspondance avec madame de Charrière. Ce n’était plus cet adepte des doctrines les plus téméraires et les plus arides de la philosophie du dernier siècle, cet autochtone, si l’on ose ainsi parler, des régions les plus dévastées de l’âme et de l’intelligence, se préparant à porter le coup de grâce à l’infâme, à dépecer, à détruire l’une par l’autre les traditions religieuses de tous les temps et de tous les pays.

Sur ce point encore, l’Allemagne l’avait retourné du blanc au noir, ou, si l’on veut, du noir au blanc. L’érudition germanique, alors en bonne voie, lui avait fait honte d’Holbach, de Diderot et de Dupuis. Tant s’en faut qu’il persistât dans sa haine et dans son mépris pour toutes les religions, qu’il était plutôt tenté de les révérer toutes également,