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par exception, je vis le maître du logis venir à moi d’un air à la fois embarrassé et impérieux ; il m’annonça que j’avais été nommé, le matin même, pour faire partie d’une escouade d’auditeurs que M. le baron Dudon, nouveau maître des requêtes, emmenait à l’armée du Nord, en Espagne puis il s’éloigna sans attendre ma réponse.

Je restai sous le coup.

Ce n’était point une disgrâce ; je n’étais point de taille à me dire disgracié, mais c’était un vrai dégoût.

Mes compagnons d’exil étaient tous ou presque tous mes cadets. Notre chef, la veille encore, était notre égal. L’Espagne était une mission de rebut, odieuse par le métier qu’on y faisait, périlleuse très souvent, détestée de tout le monde, abandonnée à son mauvais sort dans la pensée impériale, mission dont il n’y avait ni retour à prévoir, ni avancement à espérer.

Je trouvai ma nomination en rentrant chez moi, et je passai la nuit à délibérer sur le parti que j’avais à prendre.

Je pouvais réclamer, je pouvais faire valoir mon ancienneté et mes services, mais j’étais irrité ; il me répugnait de rien demander, de rien laisser demander pour moi.