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prochaine de ce rapprochement entre les défenseurs de la morale religieuse et les partisans de la laïcisation à outrance.

Cette cause n’est autre que l’apparition, sur la scène philosophique en France, d’une doctrine plus avancée que la morale indépendante, aux yeux de laquelle cette morale que j’ai combattue est elle-même un vieux préjugé réactionnaire et presque clérical.

Il est arrivé dans l’ordre des discussions philosophiques un fait analogue à ce qui se passe sur le terrain politique. De même que derrière l’opportunisme apparaît le radicalisme, derrière le radicalisme le socialisme, de même, dans l’ordre philosophique, la morale non chrétienne, mais spiritualiste de M. Compayré, est dépassée par la morale athée de M. Paul Bert : mais celle-ci même n’est pas le terme dernier de révolution de la pensée moderne. Derrière la morale qui supprime Dieu, mais qui conserve le devoir, apparait une nouvelle morale qui supprime le devoir lui-même, une morale qui s’appelle elle-même morale sans obligation et sans sanction[1] Cette définition, due à un des enfants terribles de la secte, est sans doute étrange. Jusqu’à présent la morale était considérée comme étant la science même du devoir, et l’obligation et la sanction étaient regardées comme l’essence même et le fond de la morale. Mais à notre époque si fertile en progrès, on a changé cela, comme on a changé tant d’autres choses.

Il y a donc une morale sans obligation, une morale qui rejette la distinction du bien et du mal comme une vieille illusion, et qui rangerait volontiers le devoir avec Dieu et avec l’immortalité dans la catégorie de ces bons vieux mots un peu lourds, qui servent d’épouvantail pour les sots, mais dont les hommes intelligents comprennent le vrai sens, tout différent de celui que le vulgaire leur attribue. Ainsi ce qui a amené ce singulier rapprochement entre la doctrine que je soutenais et celle de MM. Schérer et Renan, c’est un progrès singulièrement rapide des idées, d’où il est résulté que la doctrine que je combattais l’an dernier, au nom des traditions et des croyances anciennes, était déjà en butte à des attaques semblables de la part d’une doctrine plus avancée. Dès lors, après avoir constaté, comme il m’était permis de le faire, cet accord entre les partisans les plus avancés de la morale laïque et les défenseurs de la morale religieuse, je me suis cru obligé de regarder en face et d’étudier cette nouvelle doctrine morale, et de me demander si elle n’est pas elle-même, pour l’esprit public et pour la conscience, un danger plus grand que celui que je venais d’essayer de conjurer.

  1. Guyau, Essai sur une morale sans obligation et sans sanction. (Alcan.)