Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/8

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LA MORALE ÉVOLUTIONISTE
_____


LE PASSÉ ET L’AVENIR DE LA MORALE
SELON LES NOUVEAUX DOCTEURS


Qu’une morale sans Dieu soit impossible, que, privée de l’idée d’un Être suprême, toute règle de mœurs sérieuse s’écroule nécessairement, c’est une vérité qui n’a pas besoin d’être démontrée, tant elle est évidente aux yeux du bon sens. Cependant, comme cette vérité est violemment attaquée de nos jours, j’ai cru devoir présenter ici, en défense de ce principe, des arguments que je crois invincibles.

À l’appui de cette étude, j’ai apporté en faveur de la thèse de l’union nécessaire entre la morale et l’idée de Dieu deux témoignages récents très singuliers et tout à fait inattendus, celui de M. Schérer, déclarant que la vraie morale, la bonne, l’ancienne, l’impérative, a besoin de l’absolu, qu’elle aspire à la transcendance et ne trouve son point d’appui qu’en Dieu ; et celui de M. Renan, qui a tiré de l’idée d’une morale sans Dieu des conséquences extrêmes dépassant tout ce que j’avais imaginé, et qui a placé, parmi les moyens de salut conseillés à l’humanité et les préceptes de son étrange catéchisme, « l’ambition, les voyages, les femmes, le luxe, la richesse et, au plus bas degré, la morphine et l’alcool »

Seulement, en citant, comme c’était mon droit, ces singuliers aveux de mes adversaires, il m’est survenu un scrupule ; je me suis demandé comment il pouvait se faire que ces écrivains se trouvassent dans un parfait accord avec la doctrine ancienne que je soutenais. J’ai cherché à m’expliquer d’où provenait cette sorte de trahison apparente dans l’armée de la morale laïque. Je me suis demandé si elle devait être attribuée à un caprice personnel de leurs auteurs, auquel cas il ne serait pas permis d’en tirer des conséquences importantes, M. Renan et M. Schérer n’étant, par suite de leurs variations antérieures, que de très médiocres garants pour les opinions qu’ils soutiennent, ou bien si elle était un résultat forcé de la situation où se sont placés les moralistes qui veulent se passer de Dieu, auquel cas ces aveux auraient une bien plus grande valeur.

Or il m’a suffi de réfléchir pour découvrir aisément la cause