sans doute que dans une certaine mesure le sentiment confus de l’accord entre l’intérêt général et les intérêts privés sont pour quelque chose dans cette résignation du grand nombre à subir la direction du petit. Mais qui peut douter que l’idée morale du devoir d’obéir à l’autorité établie ne soit l’un des éléments et même l’élément prédominant de cette force qui soumet la plus grande force physique à la plus faible. Cette idée est encore un autre aspect du sentiment de la justice, lien des sociétés humaines. C’est encore de cette idée de justice que naît celle de châtiments et de récompenses. On a voulu ne voir dans les châtiments et les récompenses que des moyens de corriger l’homme par l’espoir de la crainte. Les mêmes auteurs, qui désirent si passionnément détruire toute séparation entre l’homme et la brute, n’ont pas craint d’assimiler la répression pénale et les rémunérations que la société établit aux moyens employés pour dresser les animaux. Mais ici encore leur analyse est radicalement fausse. Semblables quant à leur forme extérieure, ces deux ordres de faits sont très différents quant à leur nature, précisément à cause de l’existence chez l’homme de cette idée primordiale de justice. Ce qui le prouve, c’est la distinction que font tous les hommes, et même les enfants, entre les châtiments infligés arbitrairement et les châtiments mérités, c’est cette protestation de la conscience qui s’élève nécessairement en présence de l’injustice et qui se manifeste à la conscience de l’oppresseur comme à celle de l’opprimé et les traduit tous deux devant un juge supérieur et infaillible. Sans l’idée de justice, il n’y aurait proprement ni récompenses ni châtiments ; il y aurait des événements fatalement heureux ou malheureux. Les hommes se comporteraient envers leurs supérieurs et envers les juges comme ils se comportent envers les phénomènes naturels et les fléaux physiques. Il y a encore d’autres liens sociaux dont il faut tenir compte. La société ne se compose pas d’individus isolés, mais de familles. Les sentiments d’affection paternelle, maternelle et fraternelle entrent comme éléments dans la constitution même de la société humaine. Mais ces sentiments ont un caractère moral ; ils sont unis étroitement à l’idée du devoir. La encore l’instinct cède la place à la justice aperçue par le cœur. Ainsi tous les liens primitifs et fondamentaux de la société humaine sont des idées morales. Ce sont ces idées qui remplacent, chez l’homme, les instincts sociaux aveugles de l’animal, comme les notions rationnelles de la géométrie remplacent chez le constructeur humain les instincts de l’abeille et du castor. Il est donc absurde de supposer une société humaine tout à dépourvue de moralité. Une telle société ne pourrait pas vivre elle ne pourrait pas même se constituer. La première société natu-
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