espèce d’habitante de la ruche. Elles ne savent pas pourquoi elles agissent ainsi. Elles sont déterminées par la nature à ce genre de travail. Dans les sociétés animales, tout est régulier, uniforme, quasi mécanique. Elles ne supposent, pour être constituées, aucune moralité ; jamais on n’y voit la lutte entre le devoir et la passion. Elles ne se perfectionnent pas ; et aucune moralité n’est produite dans l’avenir par ces instincts qui se suffisent à eux-mêmes et qui suffisent à constituer la société et à la faire durer indéfiniment. Tout autres sont les sociétés humaines. Ces instincts précis, déterminés, portant à accomplir certains actes spéciaux, n’existent pas chez l’homme supérieur par la raison, l’homme est presque dépourvu d’instincts. Ce n’est que dans l’enfance, avant l’éveil de la raison, que certains instincts se manifestent ; ils disparaissent ensuite pour être remplacés par l’activité raisonnée ou par l’habitude. Ce qui constitue les sociétés humaines, ce n’est pas cette force aveugle de l’instinct, ce sont des sentiments naturels, qui eux-mêmes supposent des idées aperçues par la raison. Sans doute, il y a une sorte de sympathie physique qui rend pénible la vue des maux d’autrui. Mais cette sympathie serait absolument insuffisante pour constituer la société, s’il n’y avait pas au-dessus l’idée du devoir de faire du bien aux autres. Les exemples si fréquents de cruauté montrent combien la sympathie physique est faible, surtout dans les sociétés primitives. Puis cette sympathie doit lutter contre l’égoïsme, qui pousse chacun à sacrifier les autres à soi-même. Quelle est la barrière qui arrête les égoïsmes en conflits ? Sans doute c’est dans une certaine mesure, crainte de la vengeance, mais c’est aussi l’idée primitive de justice. La crainte de la vengeance ne fait respecter que les forts. C’est la justice seule qui porte à ne pas faire tort aux faibles, et il n’y a pas de société quand les faibles ne sont pas protégés.
Si maintenant nous considérons la société à un état plus avancé d’organisation, et lorsqu’un pouvoir social a été constitué, nous pouvons nous demander de quelle force sera armé ce pouvoir, si l’idée du respect dû à l’autorité n’existe pas dans le corps social. Cette obéissance du grand nombre à un petit nombre de chefs ou même à un seul est en elle-même un fait étrange et difficile à comprendre. C’est un équilibre qui semble contraire à toutes les lois de la mécanique. Le grand nombre, possédant la force physique, souffre et travaille sous la direction et souvent pour le bonheur du petit nombre qui possède les biens de la terre et qui en jouit. Le pauvre, tirant souvent à peine de ses efforts le nécessaire pour soutenir sa vie, voit une partie du fruit de son travail si insuffisant pour lui-même aller grossir le superflu du riche. Nous admettons