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Dieu même ; admettons que ce soit une digue contre la barbarie, digue construite par tes générations antérieures, et fixée, agglutinée par l’hérédité seulement. Alors si la science vient a détruire la digue, qu’arrivera-t-il ? La mer entrera, c’est-à-dire la barbarie viendra recouvrir l’état social. Il arrivera aux sociétés humaines ce qui arriverait aux Pays-Bas, si les digues de l’Océan étaient rompues ; l’Océan viendrait couvrir villes et campagnes, et toute cette contrée artificielle serait recouverte par les eaux.

La société s’appuie sur la morale. La morale N’est qu’une illusion. La science arrive, explique l’illusion ; la morale disparaît, mais comme conséquence la société s’écroule. Prêchez aux hommes qu’il n’y a ni bien ni mal absolu, qu’ils ne sont obligés à rien, que le plaisir et la vertu sont identiques. Enseignez-leur que l’obligation et la sanction à laquelle ils croient sont chimériques, et que chacun a le droit de faire ce qu’il lui plaît, et vous verrez, nonobstant la sympathie et la théorie de l’intérêt social, les égoïsmes se mettre en face l’un de l’autre et la guerre civile éclater partout.

La société, selon les évolutionistes, repose sur une erreur. Les hommes, selon ce système, n’obéissent a la morale que parce qu’ils sont dupes d’une illusion provenant elle-même de leur constitution cérébrale héréditaire. Appelez la science ; elle dissipera l’illusion, mais la société s’écroulera en même temps. Qu’arrivera-t-il ensuite ? Revenue à la barbarie, l’humanité périra-t-elle entièrement ? Les hommes s’extermineront-ils jusqu’au dernier ? Cela n’a rien d’impossible ni même qui soit contraire au système de l’évolution. Je ne vois pas pourquoi l’immense ossuaire qui a enseveli les grands reptiles, les grands carnassiers des temps quaternaires et les mammouths n’engloutirait pas la race humaine. Pourquoi le genre humain ne passerait-il pas à l’état de race éteinte, objet des études de paléontologistes appartenant a une race supérieure ? Tout ce qui commence doit finir tout ce qui nait doit mourir. L’évolution sociale qui a créé la morale, peut elle-même avoir son terme. Pourquoi le moment où le fatal secret est découvert, où la duperie du devoir est dévoilée, ne serait-il pas le signal de la fin des sociétés ?

Rien n’empêche d’ailleurs de faire une autre hypothèse. L’humanité retombant dans la barbarie pourra peut-être retomber dans son ignorance primitive. Elle pourra perdre ses traditions ; elle pourra être délivrée de la science et surtout de cette doctrine de l’évolution en morale qui est contraire au préjugé du devoir. Revenue au point de départ, elle pourra recommencer son évolution. De nouveau, l’intérêt social portera à classer les actes en bons et en mauvais. De nouveau l’hérédité en fixant les expériences passées en transformera la nature. Les préjugés du devoir et du bien absolu reparaitront,