que les premières, des causes de discussion entre les hommes. La diminution des anciennes inégalités sociales rend plus pénibles à supporter les inégalités nécessaires qui subsistent. En somme, les hommes de la société moderne, ayant peut-être plus de causes extérieures de bonheur, sont moins contents de leur sort que ceux d’autrefois. Il leur faut donc une somme aussi grande de vertu pour se contenter de la part qui leur échoit en bien. Rien n’annonce donc l’apparition de cette félicité promise et de ce bonheur qui procurera la paix et dispensera du devoir. À défaut de l’expérience, serait-ce la théorie même de l’évolution qui nous amènerait ces brillants horizons ?
Mais qui nous garantit que l’évolution humaine sera toujours en progrès ? Pourquoi l’homme ne serait-il pas destiné, en vertu même de l’évolution, à disparaître devant un être supérieur ? Pourquoi la race humaine arriverait-elle donc à cette perfection de bonheur ? Rien ne le prouve, et ces hypothèses chimériques ne nous garantissent nullement contre le danger actuel de la destruction de l’idée du devoir et de la ruine de l’autorité souveraine de la conscience.
Il est, en effet, une troisième solution du problème de l’avenir de la morale, solution pleinement conforme aux principes de l’évolutionnisme, solution tout autrement vraisemblable que les vaines hypothèses que nous venons d’examiner. Nous convenons que cette solution jette un triste jour sur la doctrine elle-même et sur ses conséquences. Nous sommes étonnés néanmoins qu’aucun des docteurs de la secte, raisonneurs si intrépides et si indifférents en apparence aux effets pratiques de leurs théories, n’ait pas découvert et exposé cette conséquence du système. Voici cette solution.
Selon la doctrine évolutioniste, c’est la société ou, si l’on veut, c’est l’instinct social de l’humanité qui a créé la morale. La morale est le résultat de tendances sociales fixées par l’hérédité. Cette morale, créée par l’évolution sociale, n’est autre que la vieille morale, la morale de l’absolu et du devoir. Maintenant pourquoi cette morale a-t-elle été créée par la société ? C’est évidemment parce que la société en avait besoin pour vivre. La morale (et j’entends par ce mot la morale vulgaire) est, dans les sociétés actuelles, un organe nécessaire. Cet organe a été produit parce qu’il était nécessaire, de même que, selon la doctrine évolutioniste, l’évolution a produit des yeux, des oreilles, parce que l’animal avait besoin de voir et d’entendre. Les organes produits par les besoins, c’est la formule évolutioniste par excellence.
Admettons avec nos adversaires que la morale du devoir qui existe chez tous les peuples civilisés ne soit pas, comme le croit le vulgaire, une muraille éternelle de diamant indestructible créée par