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des enfants. Les enfants ont donc, à leur naissance, tout un capital d’idées et de sentiments qui ne sort pas de leur nature, mais qui provient des habitudes, des actes et des pensées accumulées de leurs aïeux.

Parmi ces notions héréditaires, l’une des plus frappantes, l’une des plus enracinées, parce qu’elle est le résultat d’un nombre incalculable d’expériences antérieures, c’est celle-ci : il y a des actes qu’il ne faut pas faire, c’est-à-dire des actes mauvais, ces actes sont punissables ; il y a des actes qu’il faut faire, c’est-à-dire des actes bons, ces actes doivent être récompensés.

Quant aux motifs en vertu desquels tels actes doivent être évités et tels autres accomplis, ces motifs plus ou moins variables ont pu disparaître de la mémoire. C’est le résultat définitif des expériences antérieures qui s’est fixé par hérédité ; les conditions de l’expérience ont été oubliées. Dès lors les générations qui naissent à la suite d’une longue pratique de la vie sociale ont dès leur naissance gravées dans leur conscience ou plutôt dans leur cerveau, car l’évolutionisme n’admet pas d’âme et ne considère l’homme que comme un organisme, l’idée de certains actes bons et louables et celle d’actes répréhensibles. Les mêmes générations, en croyant par l’effet de l’hérédité à la bonté de certains actes et à la malice des autres, n’ont aucun motif à elles connu d’y croire. Les raisons qui, dans les siècles antérieurs, ont fait classer les actes humains dans les deux catégories du bien et du mal ne sont point parvenues jusqu’à elles. Elles doivent donc naturellement admettre que cette distinction est quelque chose d’absolu, que les actions bonnes sont bonnes en elle-mêmes ; les actions mauvaises, mauvaises par leur propre nature. Le caractère absolu du bien résulte de l’ignorance des motifs qui rendent les actions bonnes ou mauvaises. Trouvant ces notions gravées dans leur âme dès que leur raison s’éveille, les hommes ne peuvent croire que ces notions soient des résultats d’expériences antérieures. Ils les prennent pour des principes.

Platon, frappé de cette innéité de nos idées, a supposé qu’elles étaient la réminiscence de connaissances plus complètes que l’individu avait eues dans une existence antérieure. Platon, selon les docteurs modernes, a approché de la vérité, mais ne l’a pas atteinte. Ce n’est point dans une existence antérieure de l’individu, c’est dans l’existence des aïeux qu’il faut chercher l’origine de ces idées. L’homme n’est point un être isolé, sa vie est la continuation de celle de ses parents ; ce qui était expérience chez eux, est devenu principe chez lui. Trouvant ces notions en lui-même et convaincu que tous les hommes lui ressemblent, l’homme en conclut que les principes de la morale sont universels et invariables. Cette croyance