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haitez que j’échoue, que je revienne au bureau, même si je dois en mourir d’ennui et de chagrin…

Elle « dramatisait » encore, mais Yves était si bouleversé qu’il ne trouva là rien d’excessif, et qu’il lui murmura des mots tendres et apaisants en essayant de lui prendre la main. M. Nadeau, qui grattait bruyamment sa marmite, n’avait rien entendu de ce débat chuchoté ; il surgit soudain devant eux avec sa bonne figure écarlate et découragée.

— Rien à faire ! Je crois que mes petits pois sont fichus ! Triste régal pour un beau jour comme celui-ci !

Yves sentit que la main de Gisèle s’échappait de la sienne ; elle lança d’un ton acerbe :

— Ne t’inquiète pas, papa. Tes petits pois ratés sont tout à fait dans l’ambiance, au contraire. Yves prétend qu’il en sera de même pour ma carrière !

Le jeune homme protesta.

— Oh ! Gisèle, vous êtes injuste ! Je vous ai dit…

— Vous ne m’avez dit que des choses charmantes, coupa-t-elle que M. Brévannes a seulement voulu me faire la cour, qu’il aura changé d’avis demain, bref, que je n’aurai pas ce rôle !

M. Nadeau regarda Yves d’un air effaré.

— En voilà un rabat-joie ! Pourquoi ?…

— Pour m’épargner des déceptions futures, dit Gisèle avec un petit rire à la Gaby Morlay. Il est si prévenant !

Le père haussa les épaules ; ces querelles d’amoureux lui paraissaient beaucoup moins importantes que le désastre de ses petits pois.

— Allons ! conclut-il, ce n’est pas le moment de vous chamailler ! Je vais ouvrir une boîte de conserves…

— Ne vous donnez pas cette peine, monsieur Nadeau ! dit Yves, qui commençait à s’irriter de la mauvaise foi de sa fiancée. Il est déjà tard ; et j’ai un travail important à faire à la maison… Si vous le permettez, je vais m’en aller…

— Mais Gisèle ne vous laissera pas partir comme ça !

Gisèle prit un air excédé et dolent.

— Si, papa… Je suis très fatiguée et j’ai un début de migraine.

Elle tendit la main à son fiancé.

— Bonsoir.

C’était lui interdire de l’embrasser. D’ailleurs, il n’en avait pas envie, après la discussion, qui les avait opposés l’un à l’autre. Il lui serra la main et sen alla, déchiré par des sentiments contradictoires.

Quand il fut parti, M. Nadeau interrogea sa fille.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? Il avait l’air tout drôle, ton fiancé…