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SECONDE PARTIE

eut fini son installation, il déposa chez son banquier l’argent qui lui restait, pour s’en servir au gré de ses besoins. Ma santé était meilleure, les forces et la gaîté me revenaient.

Pendant quelques temps tout alla bien, mais mon père et ses amis n’avaient pas oublié ce qui s’était passé à Paris ; ils venaient souvent le voir, alors la navette commença entre Paris et Orléans.

Deux fois par semaine on se réunissait à la maison. MM. Hutin, Martin, Tavernier, Tissot, Bassot, M. Texier, professeur au Lycée et beaucoup d’autres étaient du nombre.

On lisait les journaux avancés, on discutait, on était au courant de tout ce qui se passait à Paris, et on se mettait sur ses gardes. Naturellement tous étaient furieux contre Louis Bonaparte.

Pour ne pas attirer l’attention des indiscrets, on passait par la petite porte bâtarde donnant accès dans la rue Neuve.

Je grandissais. J’avais déjà vu tant de choses ! on discutait devant moi, cela m’intéressait, j’écoutais attentivement, rien ne m’échappait. Lorsque par hasard je devais me coucher de meilleure heure, j’étais désolée.

D’autres fois on se réunissait chez M. Bassot, marchand de vin, lequel avait une grande salle où l’on pouvait être plus nombreux. Souvent mon père m’emmenait, j’étais heureuse et émue lorsqu’on jurait sur ma tête de lutter jusqu’à la mort pour sauver la République. Un frisson parcourait tout mon être, je croyais déjà porter la République sur mes épaules.