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SIXIÈME PARTIE

heure de la nuit les cavaliers venaient frapper aux portes. Cet excès de zèle se calma, les rondes devenaient de plus en plus espacées. La misère nous menaçait, nous étions à la mi-juin. Le père de notre ami n’avait pas encore touché sa pension, le boulanger faisait encore crédit, mais il faisait la grimace, nous étions six, et comme nous n’avions que du pain à manger, cela filait vite. L’administration française n’est pas d’une promptitude exemplaire dans son service, en général, il faut passer par tant de filières avant d’atteindre le but ! À ce moment-là c’était pire encore, car tout était à refaire, les titres de pension à recevoir ne pouvaient suffire, les marchands voulaient de l’argent, pour nous c’était la famine à courte échéance.

Lorsque les patrouilles furent moins fréquentes, un des nôtres sortait pendant la nuit à tour de rôle, pour aller à la maraude, espérant nous procurer un peu de légumes, leur course fut vaine. Il y avait tant de soldats qui les avaient devancés ; ils revenaient toujours à vide. En réalité nous n’avions ni sécurité, ni repos, cette vie nous fatiguait et ne pouvait continuer.

Un évènement imprévu vint mettre un terme à notre inactivité. Au-dessus de nous il y avait une locataire qui avait eu vent de notre situation, elle ne disait rien, au contraire, elle cherchait à nous rendre service, indirectement, bonne femme dans le fond, mais ignorante et bête. Certains jours, on ouvrait les portes de Romainville pour faciliter le ravitaillement ; plusieurs essayèrent la fuite en se mêlant avec la foule autorisée. Le service extérieur de la ville se faisait par les Prus-