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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

« C’est cette canaille de général Eudes » alors je ne le connaissais pas, plus tard je l’ai connu, assurément ce n’était pas lui, Eudes était de taille moyenne. Tout ce qu’une voix monstrueuse peut débiter d’insultes, était vociféré par cette foule en délire. « Qu’on le pende le misérable, qu’on les fusille tous. »

Tous les prisonniers pris dans le parcours étaient escortés d’une haie de cavaliers, de soldats, l’arme prête à faire feu à la moindre résistance. On les conduisait à Versailles.

Il ne faisait pas bon alors manifester de la pitié, sans plus de cérémonie, on faisait entrer dans la danse, celui qui osait dire une parole humanitaire, on le mettait dans les rangs et il était dirigé comme les autres sur Versailles. Lorsque le défilé fut fini, il me vint à l’idée d’aller voir une amie de la Ferté St-Cyr, qui demeurait rue de la Verrerie et dont le mari était inspecteur des denrées alimentaires aux halles centrales.

Malgré mon costume, ils me reconnurent, ils me reçurent très bien et me forcèrent de manger ; ils ne voulurent pas me laisser partir ce soir-là. Le lendemain matin, je résolus d’aller voir dans le quartier, je voulais savoir s’il n’était rien arrivé de malheureux à ma mère. Mon amie me fit laisser mes vêtements de garçon et elle me donna une jupe, une robe, une jaquette et une capote, le tout ne m’allait pas dans la perfection.

Je quitte la maison, je traverse la rue de Rivoli, je gagne l’Hôtel de Ville ; partout je vois des ruines, c’est à peine si je puis me reconnaître dans ces désastres.