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SIXIÈME PARTIE

Dire ce que j’ai souffert pendant cette scène atroce, ne peut se décrire.

Louvel me dit : « Nous sommes perdus, il nous faut agir, nous n’avons pas une minute à perdre. »

Nous nous serrâmes la main, ce fut notre dernier adieu, Mon compagnon me fit passer par la petite fenêtre, alors je me trouvai à terre, non loin du fossé des fortifications, seule. Sur le talus régnait un silence de mort. Chancelante, émue, je descends encore ; au prochain carrefour j’entends une rumeur confuse des bruits divers, des cliquetis d’armes s’entrechoquant, parviennent à mon oreille ; ce sont probablement mes compagnons qu’on emmène, on les fusille, peut-être !

Je marche dans la rue comme si j’étais ivre, ne sachant où diriger mes pas, je vais toujours, longeant le glacis, lorsque je rencontre à ma gauche une petite rue, aboutissant à la rue Haxo ; je m’y engage, là, d’instant en instant, des horreurs se passent devant mes yeux, et inconsciemment je regarde des tas de cadavres gisant au milieu de la rue ; des soldats, leurs fusils en faisceaux, l’insulte à la bouche, brutalisent les rares passants.

Quelques pas plus loin, au coin de la rue des Bois, j’ai vu un groupe très excité, un jeune homme, 18 ans à peine, venait d’être arrêté. Je voulus voir ce qu’il adviendrait du garçon.

L’enfant était avec son père, lequel avait été tué dans la mêlée ; la débâche arrive, le jeune garçon s’enfuit dans une maison à quelques mètres, où il était entré précipitamment dans une chambre, se couche sur