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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

que j’avais vu, et ce que je savais du faubourg Saint-Germain. Il avait les larmes aux yeux :

— Chère amie, ce matin je me leurrais, je croyais pouvoir compter sur 10 000 hommes, nous sommes à peine 600 ; la dispersion porte un grand préjudice à la défense, les choses prennent une mauvaise tournure, il nous faut beaucoup de courage, beaucoup d’énergie, pour aller jusqu’au bout. Mais il le faut, dussions-nous tous périr.

— Vous pensez la lutte désespérée ?

Il ne me répondit pas.

— Mais si on faisait sauter les ponts de la Seine ?

Delescluse sortit lentement sa montre de son gousset et soupira :

— Pauvre amie, depuis onze heures j’attends avec impatience le plus dévoué, le plus fidèle et le meilleur de mes vieux amis ; il est près de deux heures, et il n’est pas encore arrivé.

— Votre idéal a du bon, mais je n’y puis rien.

Nous nous quittâmes en nous serrant la main. La douleur était peinte sur son visage. Ce soir-là, mes amis sont restés de service à la place de l’Hôtel de Ville, moi je suis allée coucher rue de la Verrerie, chez une dame de mes amies, dont le mari était de service.

À tout instant des estaffettes nous apportaient de mauvaises nouvelles. Le bruit circulait que les Versaillais allaient bientôt envahir l’Hôtel de Ville ; ils étaient assez nombreux sur la rive gauche, ils n’avaient que les ponts à traverser ; puis toute la valetaille du fau-