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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

mon mari s’occupait aussi de la surveillance des garçons ; tout allait assez bien.

Un jour, je demandai au commandant Naze si l’on voulait m’autoriser à tenir table ouverte deux heures par jour, à 9 heures du matin pour donner à manger aux pauvres diables qui avaient faim (il n’en manquait pas dans Paris dans ces moments-là.) Ayant été autorisée, je donnais une bonne assiettée de soupe à chacun, une tranche de bœuf, des légumes, du pain à discrétion et un demi-verre de vin. Nous acceptions hommes, femmes et enfants, par groupes de six ; lorsque chaque groupe avait fini, six autres individus entraient. Je ne demandais pas d’où ils venaient, ni qui ils étaient ; s’ils avaient faim, cela me suffisait.

Nous avons vu défiler des types de bien différentes conditions. J’étais heureuse d’avoir pu calmer pour quelques instants la faim de ces malheureux.

Notre bataillon n’était encore ni organisé, ni habillé, ni équipé, ni armé ; parmi nous il y avait des zouaves, des spahis, des turcos ; j’avais dans mon service un nègre, il était très bon garçon.

Quoiqu’en disent les mal intentionnés, chez nous je n’ai jamais vu un homme ivre, dans notre salle et dans notre service tout le monde s’est conduit dignement et respectueusement.

Le 26 mars, le comité central, fidèle à ses engagements, déposa entre les mains du peuple son mandat, ayant fini son rôle. Le peuple était sorti de la légalité pour rentrer dans la révolution ; c’était son droit, et ce droit lui était contesté par la presse officieuse, qui