Page:Brocher - Souvenirs d’une morte vivante, 1909.pdf/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.
VI

dicatif, d’un voisin perfide, d’un passant halluciné, de n’importe qui… Mais plus tard, en exil, le mot marqua à l’épaule non seulement les réfugiées, mais les amies mêmes qu’elles avaient.

En 1871, oui, sept ans après l’écrasement de la Commune, lorsque l’ancien colonel commandant l’École Militaire, Razoua, mourut à Genève et fut enterré civilement, des femmes accompagnèrent sa dépouille au cimetière, comme elles accompagnaient, aussi bien, celle de tous les exilés qui décédaient. Or, un informateur du Courrier de Genève, offusqué de voir des femmes suivre le convoi, contrairement aux usages de son pays, rendait compte ainsi de la cérémonie :

« Immédiatement après le cercueil, venaient trente ou quarante femmes formant la tête du cortège composé d’environ trois cents personnes. Ces femmes-là étaient-elles des pétroleuses ? Le fait est que jamais Genève n’a vu des femmes à un cortège funèbre. »

Aux lecteurs de ce livre, Victorine B… dira qu’elle n’échappa elle-même que par miracle aux conséquences de la terreur habilement répandue dans Paris par les suppôts de la répression. Le titre : Souvenirs d’une morte vivante trouve son explication dans l’inadvertance des bourreaux, qui n’avaient pas le temps de vérifier l’identité des victimes.

Une inconnue qui, peut-être, ne ressemblait ni peu ni prou à Victorine B… fut collée au mur et fusillée à sa place, comme avaient été collés au mur et fusillés à la place de Vallès, de Billioray, d’Amouroux, d’Eudes, de Vaillant, de Mortier, de Gaillard, et de tant d’autres, on ne sait quels pauvres diables coupables d’un air de famille !