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QUATRIÈME PARTIE

épouvantable qu’on se serait cru dans une fabrique de chandelles, lorsque le suif est en ébullition ; on me conseilla d’y ajouter une gousse d’ail pour purifier ma graisse.

Toute la nourriture devenait si répugnante, c’était presque un désespoir de penser à manger.

Pendant le siège je n’ai jamais mangé de pain. Je n’ai pas fait la queue à la porte des boucheries étant de service au bastion, je ne pouvais y aller. L’un des gardes de mon quartier qui étaient pour l’ordre à la porte des boucheries prenait ma carte et notre ration lui était remise. Comme nous avions deux enfants, cela nous donnait droit à trois rations, trois fois par semaine ; je laissais le bénéfice de la troisième ration à une famille plus nombreuse, nous avions donc 300 grammes de viande de cheval par semaine. C’était assez pour nous. Je n’en donnais pas aux enfants, nous ne tenions guère à la viande.

Je me souviens qu’un jour que je passais sur le boulevard Sébastopol, un homme, au coin d’un trottoir, étalait une grande toile sur laquelle il avait déposé une quantité de boîtes de conserves, aussitôt il se forma un grand cercle autour de lui, il fit un boniment de camelot. Chacun d’acheter de ces boîtes. Moi je fis de même, j’en ai acheté une assez grande qui me coûta 5 francs. Toute heureuse, je vins à la maison, je fis voir mon achat à ma mère, elle ouvrit la boîte, les enfants se réjouissaient, ils tapaient des mains (nous étions si fatigués de toute notre nourriture). La boîte ouverte, le contenu paraissait assez appétissant, nous