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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

novembre, il faisait si froid que nous étions obligés de laisser les enfants dans leur lit ; nous n’avions toujours que du bois vert, lorsque nous voulions faire du feu, la fumée était si épaisse dans les chambres qu’il nous fallait ouvrir portes et fenêtres, cela faisait mal, nous préférions ne pas faire de feu et les laisser couchés ; lorsque les enfants voyaient qu’on prenait la poêle pour faire des crêpes, c’était une joie sans égale. Mon cher petit tapait des mains, soufflait dans ses doigts pour me peindre son transport, il envoyait des baisers à n’en plus finir pour un morceau de crêpe.

Fin décembre, le beurre se vendait jusqu’à 28 francs la livre ; un beau chat 20 francs ; un gros lapin s’est vendu 45 francs au marché de Clichy, dit-on.

Dans le faubourg St-Germain il y avait au marché une boucherie canine et féline, là on vendait des gigots de chien à 6 francs la livre. En décembre les pommes de terre coûtaient 40 francs le décalitre, et quelles pommes de terre ! Toutes petites, celles qu’on prend pour les semailles.

Moi, j’étais une privilégiée, demeurant dans la maison d’un boulanger, la veille du rationnement des farines, il m’en avait vendu environ 10 kg. ; avec le riz, ce fut notre principale nourriture. Nous avions gardé la farine pour les enfants.

J’ai oublié de vous parler de cette horrible graisse qu’on nous vendait au morceau, comme des carrés de savon, je n’ai jamais rien vu de plus infect ; comme tout le monde, j’en ai acheté, mais une fois seulement, je voulus la faire fondre, l’odeur était tellement