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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

les pieds dans la neige, passant ainsi une grande partie de la nuit, dans l’attente de 50 grammes de viande de cheval, os compris, par personne. Et si on était en retard, on avait attendu ainsi pour rien, il fallait recommencer le jour suivant.

Je cite en passant une phrase assez étrange de M. de Goncourt dans son journal.

« 24 septembre il est vraiment ironique de voir les Parisiens se consulter devant les boîtes de fer blanc des marchands de comestibles et des épiceries cosmopolites. Enfin ils se décident à entrer, et sortent en portant sous leurs bras le boiled Mutton ou le boiled beef etc. Toutes ces conserves possibles et impossibles, de viandes, de légumes, de choses qu’on n’aurait jamais pensé devoir être la nourriture du Paris riche.

» 25 septembre. On a mangé les dernières huîtres hier !… »

Quelle infamie messieurs, le Paris riche n’a plus d’huitres à manger ! Le Paris riche réduit aux conserves alimentaires, quelle ironie !… Quelle chose affreuse ; y pensez-vous ?

Le Paris pauvre ne s’extasiait pas devant les boutiques de comestibles, il n’en avait, ni le temps, ni le moyen, cela aurait été un luxe pour lui, il n’y songeait même pas.

Pendant que vous, Messieurs, vous devisiez chez Bréban et autres, lui, Jacques Bonhomme, allait aux remparts, souvent l’estomac creux : « Bah ! disait-il, je serrerai un peu plus mon ceinturon ; la patrie avant tout ». Si par malheur il avait bu un verre de vin,