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LES MYTHES DANS LA PHILOSOPHIE DE PLATON.

comme l’avait vu Héraclite, soumis au changement, et, les mots étant toujours pris chez Platon dans un sens absolu, il s’agit ici d’un changement perpétuel qui atteint toutes les parties et ne laisse subsister rien de fixe. Dès lors, de deux choses l’une : ou bien la philosophie s’en tiendra à la science pure, et alors il lui faudra renoncer à rien dire de l’homme, du monde, de l’âme, et même, comme nous le verrons, des dieux ; elle s’enfermera, comme l’Éléatisme, dans une formule vide et stérile qui n’explique rien, parce qu’elle s’applique à tout, et elle renoncera à ce qui est, en fin de compte, l’objet même de la philosophie, c’est-à-dire l’explication du monde ; ou bien, à côté de la science rigoureuse, elle fera place à un mode de connaissance inférieure, participant de la nature de son objet, c’est-à-dire mobile et changeant. Entre ces deux partis le choix de Platon ne pouvait être douteux, et les mêmes raisons qui, dans sa métaphysique, l’obligent à placer le devenir à côté de l’être, le contraignent dans sa théorie de la connaissance, à placer l’opinion vraie à côté de la science. Il y a un probabilisme platonicien qui fait partie du système au même titre que la philosophie du devenir, au même titre que la théorie même de la science.

Que telle soit bien la signification du Platonisme, c’est ce que l’histoire a prouvé. Quand les successeurs de Platon abandonnèrent la théorie des Idées et de la science, il ne resta plus que le probabilisme. Ce n’est sans doute pas sans motif que des hommes comme Arcésilas et Carnéade prétendirent toujours relever de Platon et continuer sa tradition.

Si telle est la place faite à la probabilité dans le dogmatisme platonicien, le rôle du mythe s’explique tout naturellement. Le mythe est l’expression de la probabilité. Il faudrait d’ailleurs se garder de croire que le mythe soit toujours chez Platon un simple jeu de l’imagination. Personne ne contestera que le mythe de Poros et de Pénia dans le Banquet n’exprime d’une manière allégorique la doctrine développée plus loin par Socrate, et qui considère l’amour comme un démon intermédiaire entre les dieux et les hommes. Dans le Timée, Platon unit ensemble les fictions poétiques et les raisonnements mathématiques. Il rapproche ce qu’il appelle le raisonnement vrai et l’apparence, lorsque, par exemple, expli-