Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.
47
LES MYTHES DANS LA PHILOSOPHIE DE PLATON.

La première de ces solutions, la plus simple et la plus radicale, celle aussi qui, à certains égards, convient le mieux à la doctrine d’un véritable philosophe, devait séduire beaucoup de bons esprits. Elle a été défendue avec une force singulière dans un travail remarquable, très approfondi et très documenté, publié par M. Louis Couturat sous forme de thèse latine : De Mythis platonicis. Et il faut convenir que les raisons que le jeune et savant auteur met en avant méritent une sérieuse considération.

Personne, peut-être parmi les philosophes anciens, n’a eu plus que Platon l’idée nette de ce que doit être la science et de la différence qui la sépare des autres modes d’affirmation. L’objet de la science ne comporte aucun changement, demeure toujours identique à soi-même ; la raison seule, soit par l’intuition, soit par la démonstration, peut l’atteindre. L’opinion, au contraire, est infiniment variable et changeante. La vraisemblance présente une infinité de degrés. Elle est essentiellement fuyante et mobile. On sait le jugement de Platon sur les poètes et comment il traite Homère dans sa République. Il est plein d’admiration pour eux, mais les considère comme dangereux et se défie de leurs inventions. Comment supposer qu’un pareil philosophe ait pu, dans l’exposé de ses propres doctrines, recourir à un procédé d’exposition si éloigné de sa manière habituelle de raisonner, et peut-on voir autre chose qu’un jeu dans les fictions où il se complaît quelquefois, parce que c’est la mode de son temps, et que, d’ailleurs, le tour naturel de son esprit l’y inclinait peut-être ? Mais il ne semble pas possible qu’il ait jamais présenté sous la forme poétique une doctrine qu’il aurait prise au sérieux ou quelque proposition qu’il aurait eu à cœur de défendre.

C’était l’usage, au temps de Platon, d’invoquer les anciens poètes et principalement Homère, Hésiode ou Simonide, en toute circonstance et à tout propos. Les ouvrages d’Homère et d’Hésiode étaient pour l’antiquité ce que les livres saints ont été longtemps pour les modernes, et il faut se souvenir qu’alors on n’avait guère d’autres livres. C’est là qu’on allait chercher de beaux exemples, des préceptes et des règles de conduite. On voit, par les dialogues mêmes, dans le Protagoras notamment, que c’était un exercice favori des sophistes