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DE M. FRANCISQUE BOUILLIER

« L’affaire, écrit-il à ce sujet, fit du bruit et je ne m’épargnai pas pour qu’elle en fît. Je fus victime, mais non pas une victime résignée. Je protestai dans des articles de journaux, de revues, dans des brochures tirées à grand nombre d’exemplaires et finalement dans un livre qui eut quelque succès : l’Université sous M. Ferry. » Très attaché à la culture classique dont il avait éprouvé les bienfaits, il s’inquiétait de la direction nouvelle qu’on voulait donner à l’enseignement. La réorganisation du Conseil supérieur de l’Instruction publique, les élections par lesquelles le corps enseignant devait se faire représenter dans le nouveau Conseil, lui inspiraient surtout de grandes appréhensions. Peut-être se laissa-t-il entraîner pendant cette époque un peu au delà de la modération qu’il s’était toujours imposée ; cependant ses colères finirent par s’apaiser, et, dans la dernière partie de sa vie, redevenu pacifique et philosophe, il partagea son temps entre les études philosophiques et l’Académie des Sciences morales et politiques, qui l’avait élu, en 1872, en remplacement de Ch. de Rémusat.

Rendu à la philosophie, M. Bouillier publia deux volumes d’Études familières de psychologie et de morale. Il y traitait des questions les plus diverses : la Responsabilité morale dans le rêve ; — Sentiments des vivants à l’égard des morts ; — les Effets de la distance sur la sympathie ; — les Compensations dans la vie humaine ; — de la Justice historique ; — Comment va le monde, ou étude sur la lâcheté ; — de l’Oubli ; — Patriotisme et Fêtes publiques ; — Amour de soi, Amour des Autres. — On retrouvait dans ces études le psychologue ingénieux et pénétrant qu’avaient fait connaître ses anciens ouvrages. Cependant, quel que soit l’intérêt de ces études, dans cette période de sa vie le psychologue s’efface de plus en plus devant le moraliste. C’est une question de morale, celle du progrès, qui préoccupe le plus vivement son esprit. Il l’avait déjà rencontrée en étudiant la querelle des Anciens et des Modernes au xviie siècle. Il la retrouve dans la Conscience en psychologie et en morale. Il la traite enfin, dans toute son étendue, dans Morale et Progrès, un des ouvrages qu’il a composés avec le plus de soin, où il a mis le plus de lui-même, et qui reste un fort beau livre.

Si on analyse l’idée de Progrès, on y distingue aisément deux éléments. Il y a d’abord un élément qu’on peut appeler intellectuel ; telles sont les institutions, les lois, les idées et les croyances. Ici aucun doute n’est possible : « Nous sommes meilleurs que nos pères », disait Guizot dans son Histoire de la civilisation en Europe. Le progrès se réalise chaque jour sous nos yeux, les conquêtes d’une génération s’ajoutent à celles de la