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DE M. FRANCISQUE BOUILLIER

publique. Par un retour naturel des choses de ce monde, l’indépendance et la fermeté qui avaient indisposé contre M. Bouillier les précédents ministres étaient devenues des titres à la confiance de leur successeur. C’est ainsi qu’il fut nommé d’abord Recteur de l’Académie de Clermont, puis Inspecteur général de l’Université, enfin Directeur de l’École normale. Cette dernière fonction, délicate en tous temps, était, en 1867, particulièrement difficile. L’École venait d’être licenciée à la suite d’une manifestation en l’honneur de Sainte-Beuve, qui avait prononcé au Sénat un discours libéral. Il avait même été, dit-on, un instant question de la supprimer. On l’avait maintenue, mais du moins le Ministre avait décidé de remplacer l’ancienne administration. Ce fut le premier châtiment des jeunes révoltés d’être privés de la direction si douce et si aimable de M. Désiré Nisard, de ne plus entendre sa voix si charmante et si spirituellement persuasive. Pour rétablir l’ordre dans la maison troublée, M. Duruy résolut d’appeler un homme énergique. Il voulait aussi, disait-il, confier la direction de l’École à un philosophe spiritualiste, sans doute afin que la sévérité fût réglée par la justice et que l’indulgence ne fût pas trop loin de la justice. M. Bouillier avait été placé là pour montrer de l’énergie. Il en montra. Il fit les exécutions jugées nécessaires. On vit son air d’autorité, son geste un peu saccadé. On entendit sa parole brève, parfois un peu sèche, un peu rude parfois, et on connut que les temps étaient changés. « Amo vos fortiter », disait-il volontiers, citant Sénèque. C’est ainsi que tempérait ses refus à des jeunes gens qui peut-être demandaient trop, un Directeur qui n’accordait rien. Cependant, s’il y eut quelque tension, quelques froissements, il n’y eut point de trop graves difficultés entre le nouveau Directeur et une jeunesse ardente, impatiente de toute contrainte, toute frémissante du souffle libéral qui emportait alors la France entière. Elle non plus n’était point injuste ; elle savait que son maître n’était point son ennemi, elle connaissait sa droiture et sa loyauté, et sentait tout ce que sa sévérité extérieure recouvrait de réelle indulgence. Les événements de 1870 donnèrent un cours nouveau aux préoccupations. La dignité dont fit preuve M. Bouillier, son courage et la fermeté de son caractère, son zèle infatigable et sa sollicitude éclairée achevèrent de lui réconcilier tous les cœurs. Il a raconté lui-même dans un opuscule intitulé : l’École normale pendant la guerre, tous les efforts tentés par les jeunes normaliens pour servir leur pays comme engagés volontaires aux avant-postes ou sur les remparts. L’un d’eux, mon noble et cher ami George Lemoine, tomba mortellement blessé