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DE M. FRANCISQUE BOUILLIER

hommes célèbres de son temps, V. Cousin a été certainement un des plus critiqués, des plus raillés et, on peut le dire aussi, des plus calomniés. M. Bouillier a bien raison de déclarer excessive la réaction qui s’est faite contre lui. Un jour viendra peut-être, et divers indices permettent déjà de supposer qu’il n’est pas éloigné, où l’on portera un jugement plus équitable, non sur son talent et son esprit qui n’ont jamais été mis en cause, mais sur son caractère, son œuvre universitaire, même sa philosophie. En attendant l’heure de la justice, on peut dire que l’admiration unanime de tous ceux qui l’ont le mieux connu est tout à son honneur. Après les pages émues d’Adolphe Franck et de Barthélemy Saint-Hilaire, après le beau livre que lui a consacré Paul Janet, pour ne parler que de ceux qui ne sont plus, le témoignage d’un homme tel que M. Bouillier est précieux à recueillir, l’impartiale histoire en tiendra compte. Au sortir de l’École normale, M. Bouillier prit part au concours de l’agrégation de philosophie. Il fut admis le premier avec la mention « hors ligne ». Après un an passé en province, il revint à Paris et soutint brillamment ses thèses de doctorat. Dès lors les honneurs vinrent en foule, et sans qu’il les eût cherchés, au jeune professeur. Il fut chargé d’un cours de philosophie, récemment créé, à la Faculté des lettres de Lyon. Il devint peu de temps après titulaire et, au bout de quelques années, il fut nommé doyen. À l’âge de trente ans, il avait la croix, trois ans après il devenait correspondant de l’Institut, et l’Académie de Lyon, vieille de deux cents ans, le nommait son président.

L’heureux doyen de la Faculté des lettres de Lyon avait cependant rencontré, au début, d’assez graves difficultés. On était alors au plus fort de la lutte entre les ultramontains et l’Université. Jamais encore on n’avait vu un laïque enseigner la philosophie dans une Faculté. C’est d’ailleurs sur le refus de l’abbé Noirot d’accepter ce poste difficile que M. Bouillier en avait été chargé. De plus, il représentait la philosophie nouvelle, il était disciple de V. Cousin, il proclamait la souveraineté de la Raison, il représentait la liberté de penser, il n’en fallait pas tant pour soulever des orages et déchaîner les colères. Le chanoine Desgarets dénonça solennellement son impiété, et en pleine Chambre des Pairs Montalembert demanda la destitution de M. Bouillier. Le jeune professeur tint tête à l’orage. Il n’était pas d’humeur à se laisser intimider ni abattre. Il rendit coup pour coup et fit face à ses adversaires avec autant de force que de modération et de mesure. En même temps, l’éclat de son