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12 PHILOSOPHIE ANCIENNE

une forme plus concrète, plus tragique, ou, si l’on veut, plus plaisante. C’est cette plaisanterie innocente, mise au service d’une idée profonde, qui n’a pas été comprise, et qui a valu à l’argument et à son auteur leur mauvais renom. Peut-être ne faudrait-il jamais plaisanter en métaphysique.

Zénon d’Élée avait peut-être prévu que son ironie lui serait funeste : on peut le conjecturer d’après ce passage de Platon bien propre à nous montrer dans quelle mesure Zénon mérite le nom de sophiste : « Tu n’as pas vu, dit Zénon à Socrate, que mon ouvrage n’a pas de prétention, qu’il n’a pas été composé dans l’intention que tu supposes, et que je ne fais point mystère de ce qu’il renferme, comme si c’était quelque chose d’extraordinaire. Mais tu as bien vu que c’est une défense de Parménide contre ceux qui l’attaquent par des plaisanteries, prétendant que si l’Être est un, il en résulte beaucoup de conséquences ridicules et contradictoires. Mon livre répond aux partisans du multiple : il leur rend la pareille, avec usure, et fait voir qu’il résulte des conséquences encore plus ridicules de l’hypothèse du multiple que de celle de l’unité, si on l’examine attentivement. C’est pour soutenir cette dispute que je l’ai écrit dans ma jeunesse : on me l’a dérobé, et je n’ai pu délibérer s’il fallait le publier ou non. Tu te trompes donc, Socrate, en croyant que je n’ai pas écrit cet ouvrage dans ma jeunesse par amour de la dispute, mais par ambition dans un âge avancé[1]. »


III

Il reste une dernière question à résoudre. À quoi Zénon voulait-il en venir, à travers toutes ces subtilités ? Comment ses arguments venaient-ils à l’appui de la thèse de Parménide ?

Les historiens et critiques, qui ne regardent pas Zénon comme un sophiste, ne s’entendent pas sur ce point. Comme on doit s’y attendre, ils sont disposés à retrouver chez Zénon leurs propres idées.

  1. Parm., 128, C.