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369] de la tradition néoplatonicienne qui a régné sur tout le moyen âge, à la fois sur la scolastique proprement dite et sur la philosophie juive et arabe. Spinoza cesse donc d’apparaître comme un penseur isolé, ainsi qu’on se l’est représenté quelquefois, qui aurait construit son système de toutes pièces, ou dont la pensée n’aurait subi que la seule influence cartésienne. Il faut, dans son œuvre, faire la part de ce qu’il emprunte à ses maîtres juifs et arabes ; mais il faut remonter encore plus haut et, par delà ses devanciers immédiats, reconnaître les sources où il a puisé indirectement. Sa philosophie, ainsi qu’il arrive presque toujours, a ses racines dans le passé. Elle est une sorte de mise au point, une adaptation aux formes de la pensée moderne d’une philosophie fort ancienne.

Il est à peine besoin de dire que chercher les origines de la pensée de Spinoza dans les doctrines du passé, et non pas seulement dans la philosophie de Descartes, ce n’est en aucune manière diminuer son génie ou contester son originalité. On ne méconnaît pas le génie de Platon lorsqu’on montre qu’il s’est inspiré de Parménide et d’Héraclite, de Pythagore et de Socrate. Rassembler en un seul système des idées fort différentes et quelquefois contraires, les lier ensemble de manière à former un tout cohérent, les transformer par l’interprétation qu’on leur donne, c’est une œuvre dont un homme de génie est seul capable. Tout grand système est une synthèse d’idées opposées. Dans l’Éthique, Spinoza a concilié la philosophie ancienne et la philosophie moderne, comme, dans le Traité, il concilie la raison et la foi. Son génie est de ceux que personne ne saurait méconnaître, et quoi qu’on pense des origines de sa philosophie, la puissance et la vigueur de sa pensée, la hardiesse de ses déductions et l’originalité de son point de vue ne sauraient être contestées. Les éléments de son système existaient avant lui épars et disséminés : il fallait le génie de Spinoza pour en faire le spinozisme.

Au surplus, on n’aurait pas énuméré toutes les influences dont ce système est issu si, au delà même de l’éducation qu’a reçue son auteur, au delà même de son génie propre, on ne tenait pas compte d’une influence encore plus profonde et plus intime : celle de la race à laquelle il appartenait. Il [370]