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PHILOSOPHIE ANCIENNE

Aristote nous dit expressément, au moins pour le troisième argument, que le temps est supposé formé d’instants (τὸν χρόνον συγκεῖσθαι ἐϰ τῶν νῦν).

La flèche. — Ici se présente une difficulté d’interprétation. Ed. Zeller et M. Renouvier croient devoir corriger le texte d’Aristote : nous pensons au contraire qu’il faut le maintenir. Traduisons d’abord, et expliquons le texte d’Aristote.

« Une chose est en repos, ou en mouvement, lorsqu’elle est dans un espace égal à elle-même. La flèche qui vole est toujours ἐν τῷ νῦν, dans l’instant. Elle est donc toujours immobile. »

Voici comment nous interprétons ce texte. — Il est rigoureusement impossible que la flèche se meuve dans l’instant (supposé indivisible), car, si elle changeait de position, l’instant se retrouverait aussitôt divisé. Or le mobile, dans l’instant, est ou en repos ou en mouvement : comme il n’est pas en mouvement, il est en repos, et comme le temps, par hypothèse, n’est formé que d’instants, le mobile est toujours en repos.

Cette formule « un mobile est toujours en repos ou en mouvement lorsqu’il est dans un espace égal à lui-même » a paru incorrecte à Ed. Zeller et à M. Renouvier qui proposent de supprimer ἢ κινεῖται. Qu’un mobile soit en repos quand il est dans un espace égal à lui-même, c’est, dit M. Renouvier, la définition même du repos. Cette définition du repos est pour lui, comme pour Zeller, la partie essentielle de l’argument. Nous pensons au contraire que le nerf de la preuve se trouve dans la proposition : la flèche est toujours dans l’instant. Cela signifie, nous l’avons vu, qu’à chaque division du temps, elle n’est pas en mouvement. S’ensuit-il qu’elle soit en repos ? Oui, dit-on, car elle est dans un espace égal à elle-même, et c’est la définition du repos. Il est bien vrai qu’un mobile en mouvement doit occuper dans le même temps plusieurs positions ; mais dans le même instant ? Qu’on puisse concevoir que, dans l’instant, le mobile ne soit pas en repos, c’est ce que prouve l’exemple de M. Évellin, qui, reprenant la thèse que combat Zénon, soutient[1] que la

  1. Infini et quantité, p. 93.