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LES ARGUMENTS DE ZÉNON D’ÉLÉE

ment absolu. — Les deux premiers établissent l’impossibilité du mouvement par la nature de l’espace, supposé continu, sans pourtant que le temps cesse d’être considéré comme composé de la même manière que l’espace ; dans les deux derniers, c’est la nature du temps qui sert à prouver l’impossibilité du mouvement, sans pourtant que l’espace cesse d’être considéré comme formé, lui aussi, de points indivisibles. — Enfin, le second n’est qu’une autre forme du premier, et le quatrième repose sur le même principe que le troisième. — Le premier couple d’arguments est destiné à combattre l’idée qui naturellement se présente la première à l’esprit, celle de la divisibilité indéfinie du continu ; le second s’oppose à la conception qui ne s’offre guère à la pensée que quand elle a reconnu les difficultés de la première. L’ordre logique de ces arguments est donc tout à fait conforme à l’ordre historique dans lequel Aristote nous les a transmis et qui était certainement l’ordre adopté par Zénon.

Résumons brièvement ces quatre arguments.

I. — On suppose que l’espace et le temps sont divisibles à l’infini. À la vérité, les textes ne mentionnent pas expressément cette supposition ; mais elle est visiblement impliquée dans la teneur des deux premiers arguments.

1° La Dichotomie[1]. — « Il n’y a point de mouvement, car il faut que le mobile arrive au milieu de son parcours avant d’atteindre la fin. » Et il devra parcourir la moitié de la moitié avant d’atteindre le milieu, et ainsi de suite à l’infini.

2° L’Achille. — « Le plus lent ne sera jamais atteint par le plus rapide, car il faut auparavant que celui qui poursuit soit parvenu au point d’où est parti celui qui fuit, de sorte que le plus lent aura toujours nécessairement quelque avance. » Achille aux pieds légers n’atteindra jamais la tortue. Et s’il est impossible d’atteindre un but, il n’y a point de mouvement.

II. — On suppose le continu formé d’éléments indivisibles.

  1. Nous exposons ces arguments d’après Aristote, Phys., VI, 9, 239, b. Cf. Simplicius, Phys., 236, b. Themist., Phys., 55, b. — M. Renouvier, avec infiniment de raison, a montré qu’il ne faut pas attacher trop d’importance à l’expression ἐν πεπερασμένῳ χρόνῳ qui figure dans le texte d’Aristote et celui de Themistius (Esquisse d’une classification systématique, t. I, p. 38).