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pris conscience d’elle-même, et depuis l’avènement de la science elle est encore la consolatrice de la plus grande partie du genre humain. Elle vient directement de Dieu, elle est l’œuvre de sa grâce. La pensée du philosophe est haute et sereine, elle plane au dessus des différences religieuses qu’elle voudrait effacer, elle n’est ni orgueilleuse ni dédaigneuse ; rationnellement intérieure à la raison, la foi devient pratiquement son égale par l’autorité, l’utilité, la simplicité de ses dogmes. S’il maintient les distances entre le savant et l’ignorant, c’est pour les mettre à la fin sur le même plan ou peu s’en faut. Opposés par tant de différences, séparés de tant de manières, le savant et le croyant se rejoignent et se tendent la main dans l’acte final par où s’achève toute philosophie comme toute religion. Il n’y a pas de différences essentielles entre l’amor Dei intellectualis, suprême élan de la sagesse humaine, et la dévotion ignorante de l’âme la plus humble : tous deux conduisent directement au salut éternel.

Au surplus, quand bien même on refuserait de souscrire à cette interprétation, quand on persisterait à douter de la sincérité de Spinoza, quand on soutiendrait que la révélation n’est pas admise par lui comme un fait réel, mais comme une simple possibilité qu’il envisage d’une manière purement théorique, cela suffirait pour justifier la thèse que nous nous proposons ici d’établir. D’abord ce n’est pas par hasard, ainsi qu’il remarque lui-même, que l’enseignement moral des prophètes est en parfait accord avec les conclusions pratiques de la philosophie la plus rationnelle. Il conçoit donc au moins comme une possibilité, que la Cause de toutes choses ait voulu ou produit cette harmonie. En outre, le croyant se représente Dieu comme un législateur ou un roi, comme une Providence qui veille sur le monde, comme un Être bon et miséricordieux, qui pardonne et remet les péchés, et par son intervention assure la béatitude ou le salut de l’humanité. Sans doute tout cela est faux au regard de la vraie philosophie. Cependant, même pour la philosophie, il pourrait y avoir dans cette erreur quelque fondement de vérité. Ainsi [