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de l’opinion ne se présentent pas chez Spinoza, ainsi qu’il arrive par exemple chez Parménide, comme deux parties séparées et sans rapport l’une avec l’autre. Nous avons montré tout à l’heure que le philosophe fait dépendre la seconde de la première. Elle s’y rattache et s’en déduit, sinon pour notre faible raison, au moins pour une intelligence plus puissante que la nôtre. Ajoutons que si on trouve dans le Traité des parties qui s’adaptent manifestement aux doctrines de l’Éthique, on rencontre aussi dans l’Éthique, ainsi que nous le montrerons bientôt, des affirmations qui concordent pleinement avec la doctrine générale du Traité.

Il paraît donc que dans la controverse si souvent renouvelée sur les rapports de la raison et de la foi, Spinoza a pris une position toute particulière, sans précédent, et peut-être sans analogue dans l’histoire de la pensée humaine.

Dans son livre intitulé « Benoît de Spinoza » (ch. VI), M. Couchoud nous trace un tableau très intéressant de l’état des esprits en Hollande vers la fin du XVIIe siècle. Les questions religieuses occupaient tous les esprits. Tout le monde était théologien autour de Spinoza. Le philosophe ne fit pas exception et il fut de son temps. Il est théologien puisqu’il écrit un traité de théologie, puisqu’il enseigne la vraie méthode pour l’interprétation de l’Écriture. Il faudrait dire qu’il est théologien autant que métaphysicien, si par-dessus tout il n’était moraliste. Il ne veut pas plus subordonner la théologie à la raison que la raison à la théologie. Chacune a son domaine où elle est maîtresse et d’où elle ne doit pas sortir. Les séparer entièrement, c’est sa manière de les concilier ; elles n’ont qu’à s’ignorer pour vivre en paix. Personne n’a défendu plus résolument les droits de la raison, personne n’a parlé plus respectueusement de la foi. Il est incrédule puisqu’il considère la révélation comme inadéquate, mais c’est un incrédule qui croit à la révélation, et son âme est profondément religieuse. Il fait de Jésus-Christ un Spinoziste avant l’heure ; mais il croit à sa mission divine. Il ne l’adore pas dans ses temples, mais il communie avec lui en pensée. La religion, à ses yeux, n’est pas toute la vérité : elle est vraie cependant, et ce qu’elle enseigne est excellent. Elle était le plus précieux trésor de l’humanité avant que la raison eût [346]