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337] foi sans les œuvres est une foi morte, et ceux-là se sont étrangement trompés qui ont cru avec Maïmonide et d’autres théologiens que les œuvres sans la foi ne pouvaient assurer le salut. Ainsi quelques-uns ont prétendu qu’Aristote, malgré toute sa science, n’avait pu atteindre la béatitude parce qu’il n’avait pas la foi. C’est le contraire qui est vrai. Nous avons déjà vu que c’est d’après leur conduite qu’on peut juger la valeur des prophètes. Spinoza va si loin dans cette voie qu’il ne craint pas de soutenir que, dans un État bien organisé, on devrait laisser chacun entièrement libre de soutenir par la parole ou par la plume n’importe quelle opinion pourvu que ses mœurs fussent irréprochables. « Pour mettre les États à l’abri de tous les maux on ne saurait imaginer rien de mieux que de faire consister la piété et le culte tout entier dans les œuvres, à savoir dans l’exercice de la charité et de la justice, et de laisser libre le jugement de chacun sur tout le reste. » Quant à ceux qui ne pratiquent la vertu ni par connaissance vraie ni par obéissance à la foi, il a pour eux des paroles sévères et il les met en quelque sorte hors de l’humanité. « Il résulte de nos principes qu’un homme qui ne connait pas l’Écriture et n’est pas non plus éclairé sur les grands objets de la foi par la lumière naturelle, un tel homme est, je ne dis pas un impie, un esprit rebelle, mais quelque chose qui n’a rien d’humain, presque une brute, un être abandonné de Dieu. » Ainsi le philosophe et le croyant, par des chemins différents, arrivent au même résultat, l’un parce qu’il connaît avec évidence la vertu et le vrai bien, l’autre parce que, sans comprendre, mais par obéissance, il applique les mêmes préceptes.

A y regarder de près, en effet, la religion révélée exprime sous une autre forme les mêmes vérités que la science découvre par la lumière naturelle. La plupart des hommes ne sauraient s’élever à la connaissance vraie, leur esprit est trop faible, les passions par lesquelles ils dépendent du reste de la nature ont trop d’ascendant sur leur âme pour qu’ils puissent [338]