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LE TRAITÉ DES PASSIONS DE DESCARTES

dépendent d’un même principe. Supposez, avec Aristote et l’École, que la passion provienne de l’âme sensitive opposée à l’âme raisonnable, qu’il y ait entre ces deux âmes une différence réelle, et l’opération qu’on vient de décrire n’est plus possible. Aussi Spinoza a-t-il soin de nous dire que « c’est par un seul et même appétit que l’âme agit et qu’elle pâtit » (pr. 4, v, schol.). Et cet appétit lui-même ne saurait être conçu comme irréductible à la pensée ou à l’idée. Entre le désir, que l’ancienne philosophie rattache à l’âme sensitive, et la volonté, faculté de l’âme raisonnable, il ne saurait y avoir de différence réelle. C’est pourquoi Spinoza nous dit que l’appétit n’est autre chose que l’essence de l’âme, c’est-à-dire les idées qui la constituent, en tant qu’elles s’efforcent de persévérer dans l’être. Et que le désir soit la même chose que la volonté, c’est ce qui est expressément confirmé dans le scholie de la propos. 9, iii.

Or, toutes ces idées se trouvent déjà dans Descartes. Pour ce qui touche la théorie contenue dans la pr. 2, v, Spinoza lui-même en convient ; il indique la source où il a puisé lorsque, dans la préface de la partie v, après avoir résumé avec sa concision habituelle la théorie cartésienne des passions, il ajoute : « Telle est, autant que je le puis comprendre, la doctrine de ce grand homme, et je m’étonnerais qu’il l’eût proposée si elle était moins ingénieuse ». Seulement, cette préface est écrite de telle façon qu’à première vue elle paraît n’être qu’une réfutation de Descartes : c’est d’ailleurs ce qu’elle est dans une certaine mesure. Spinoza fait à Descartes les objections qu’il devait lui faire : mais, si l’on y prend garde, ces objections portent toutes sur les applications que Descartes a faites de son principe, non sur le principe lui-même. Ce que Spinoza blâme chez son maître, c’est la distinction de l’âme et du corps, qu’il compare aux qualités occultes de l’École ; c’est la théorie de la volonté considérée comme cause du mouvement corporel, l’impossibilité de tout rapport entre la volonté et le mouvement ne permettant pas que les forces du corps soient déterminées par celles de l’esprit ; c’est une erreur physiologique ; c’est enfin ce que Descartes dit de la volonté et du libre arbitre. Spinoza devait modifier la théorie sur tous ces points pour l’accommoder à son système. Mais ces