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PHILOSOPHIE ANCIENNE

délogée de la pensée soit incorporée dans une nouvelle phraséologie pour être la bienvenue dans ses anciens domaines, et y rester en paix pendant un autre cycle de générations… Bien que rejetée nominalement, cette doctrine (de la réalité des universaux) déguisée, soit sous les idées abstraites de Locke, soit sous l’ultra-nominalisme de Hobbes et de Condillac, ou sous l’ontologie des kantistes, n’a jamais cessé d’empoisonner la philosophie. » Un stoïcien rigoureux dirait que Chrysippe avait déjà guéri la philosophie, et qu’il reste encore trop de ce poison dans le système de Mill. Ce n’est pas la moindre des curiosités que nous présente la logique des stoïciens que de dépasser, par certains côtés, la logique nominaliste de Stuart Mill lui-même, et de rejoindre celle de Herbert Spencer. Elle pourrait sans trop de difficulté s’accommoder de la théorie des syllogismes à quatre termes (First Princ., VI, ch. 6, 296).

Si les considérations qui précèdent sont exactes, nous sommes en droit de conclure que la logique des stoïciens a son caractère, sa physionomie propre, son originalité et même une valeur fort supérieure à celle qu’on lui attribue d’ordinaire. Elle s’oppose à celle d’Aristote, bien plutôt qu’elle ne la continue. La constatation de ce fait n’est peut-être pas moins importante pour la philosophie elle-même que pour l’histoire de la philosophie : c’est une preuve ajoutée à tant d’autres, que dans son évolution ou dans son progrès, la pensée antique a parcouru à peu près les mêmes étapes que la pensée moderne. Enfin il n’est peut-être pas sans intérêt pour l’histoire de la logique de montrer que les plus grands dialecticiens de l’antiquité ont été de purs nominalistes.