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PHILOSOPHIE ANCIENNE

sur leur théorie de la nécessité, et sur cette ἀνασκευή qu’ils admettaient eux aussi, mais en l’expliquant autrement. Nous n’y voyons pas ce que les stoïciens répondaient à tant de difficultés si habilement signalées. Peut-être se bornaient-ils à dire qu’il faut affirmer la nécessité sous peine de faire disparaître la science, réponse qui ne pouvait satisfaire ni les sceptiques, puisqu’ils niaient la science, ni les épicuriens, puisqu’ils la fondaient autrement.

Deux passages curieux de Sextus nous indiquent bien un moyen de sortir d’embarras. Il est dit que les stoïciens avaient recours à l’hypothèse (Sext., M., VIII, 367) : ἀλλ’οὐ δεῖ φασί, πάντων ἀπόδειξιν αἰτεῖν, τινὰ δὲ καὶ ἐξ ὑποθέσεως λαμβάνειν, ἐπεὶ οὐ δυνήσεται προβαίνειν ἡμῖν ὁ λόγος, ἐὰν μὴ δοθῇ τι πιστὸν ἐξ αὑτοῦ τυγχάνειν. D’autre part on nous dit que la vérité des hypothèses se confirmait par les conséquences qu’on en tirait (Sext., M., VIII, 375) : ἀλλ’εἰώθασιν ὑποτυγχάνοντες λέγειν, ὅτι πίστις ἐστὶ τοῦ ἐῤῥῶσθα τὴν ὑπόθεσιν τὸ ἀληθὲς εὐρίσκεσθαι ἐκεῖνο τὸ τοῖς ἐξ ὑποθέσεως ληφθεῖσιν ἐπιφερόμονον· εἰ γὰρ τὸ τούτοις ἀκολουθοῦν ἐστὶν ὑγιές, κἀκεῖνα οἷς ἀκολουθεῖ ἀληθῆ καὶ ἀναμφίλεκτα καλέστηκεν. Il est difficile de contester qu’il y ait une curieuse analogie entre cette doctrine et la conception moderne de la méthode expérimentale, qui fait une si large place à l’hypothèse, à condition qu’elle soit vérifiée par l’expérience. On peut, si l’on veut, louer les stoïciens d’avoir rencontré cette idée. Mais il ne semble pas qu’elle ait été admise par l’école tout entière. Nous ne savons pas à quels philosophes Sextus fait allusion : il s’agit peut-être d’un expédient de quelques stoïciens isolés. C’est ce que semblerait confirmer le peu d’importance que le sceptique attache à cet argument, et la réfutation sommaire qu’il en fait. Enfin il faut avouer qu’elle ne s’accorde guère avec l’esprit du système, avec l’orgueil de ces dogmatistes qui avaient la prétention de tout démontrer, ou au moins d’appuyer toutes leurs démonstrations sur des vérités inébranlables.

En résumé, il ne paraît pas que les stoïciens aient répondu d’une manière claire et distincte à la question de savoir comment la nécessité s’introduit dans les jugements conditionnels ou dans les signes. Ou plutôt, la question ne se posait pas pour eux comme elle se pose pour nous. Ils savaient, ou