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LA LOGIQUE DES STOÏCIENS

gibilité, d’accord en cela avec les épicuriens (Natorp, Forsch., 250 : κατακλείειν εἰς τὸ ἀδιανόητον), ils se réfèrent à une sorte de sens commun, à une accumulation d’expériences faites par tout le monde, à des axiomes empiriques consacrés par l’usage, la tradition, surtout par le langage, et comme par le consentement universel. C’est au fond à peu près de la même manière qu’Aristote conçoit l’induction quand il essaie de la justifier (Zeller, III, p. 242). L’expérience passée et commune garantit en quelque sorte l’expérience actuelle de chacun : et contester les résultats obtenus par cette expérience, c’est se mettre en opposition avec des vérités évidentes et des certitudes acquises : c’est se contredire, et se mettre dans l’impossibilité de penser et de parler. Il y a ainsi à la base de la science une sorte d’induction grossière et instinctive, une induction per enumerationem simplicem, faite sans ordre et sans méthode, mais dont les résultats paraissent certains parce qu’ils sont incontestés, et que, d’ailleurs, on ne voit pas le moyen de s’en passer.

Cependant il était impossible que l’insuffisance de cette conception échappât à des critiques aussi pénétrants que l’étaient les adversaires du stoïcisme. Les sceptiques ne manquèrent pas de signaler le cercle vicieux impliqué par la théorie stoïcienne du syllogisme. Pour arriver à cette conclusion : il y a de la lumière, le stoïcien s’appuie sur cette majeure : s’il fait jour, il y a de la lumière. Mais d’où sait-il que cette majeure est vraie, si ce n’est en s’appuyant sur la conclusion ?

Ne faut-il pas qu’il ait constaté directement et sans preuve que la lumière accompagne le jour ? et si cette proposition elle-même a besoin d’être prouvée, peut-on dire qu’il y ait dans aucune démonstration la moindre preuve ? (Sext., P., II, 178, 165). Plus voisins à bien des égards des stoïciens, les épicuriens ne les attaquaient pas avec moins de force. Le traité de Philodème π. σημείων καὶ σημειώσεων nous montre avec quelle subtilité et quelle profondeur les questions relatives à l’induction avaient déjà été traitées par les disciples de Zénon de Sidon (v. Bahnsen, Philippson, et surtout Natorp, Forschung., p. 244 sqq.). Les épicuriens professaient une théorie très savante sur la τοῦ ὁμοίου μετάβασις. Nous y voyons qu’ils prenaient les stoïciens à partie précisément