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PHILOSOPHIE ANCIENNE.

a de plus honorable, il faut encore leur faire voir que si l’on veut y goûter dès ses premiers ans et n’y pas renoncer aussitôt après, elle l’emporte sur tout le reste par l’endroit même qui nous tient le plus à cœur, en ce qu’elle nous procure le plus de plaisirs et le moins de peines durant tout le cours de la vie ; on ne tardera point à l’éprouver d’une manière sensible, si on en veut faire l’essai comme il convient » (Leg., V, 732, C).

Ainsi le sage idéal, tel que l’a conçu Platon, n’est pas ce personnage touchant et un peu ridicule qu’à la vérité il nous a représenté quelquefois, parce que peut-être il l’avait souvent rencontré autour de lui, vivant à l’écart et étranger à tout ce qui intéresse la plupart des hommes, ébloui et clignant des yeux lorsqu’il paraît à la lumière comme ceux qui sont restés trop longtemps dans les ténèbres ; gauche, emprunté, maladroit, soit que, comme Thalès, il se laisse tomber dans un puits en regardant les astres et prête à rire aux servantes de Thrace, soit qu’il ressemble à un pilote habile, mais un peu sourd, entouré de matelots ivres qui le maltraitent et le couvrent de chaînes ; hésitant et balbutiant si jamais les circonstances l’obligent à paraître à la tribune publique, incapable de se défendre, même en justice, victime réservée d’avance aux coups des politiques et des calomniateurs, destiné à boire la ciguë s’il rencontre sur sa route un Mélétos ou un Lycon. Il n’y a pas lieu d’être surpris si, quand il parle de ces philosophes, Platon leur témoigne quelques égards et même quelques sympathies. Mais tel n’est point son idéal. C’est seulement dans les sociétés dégénérées où nous vivons qu’il y a place pour de pareils hommes. Dans un état mieux ordonné où ils trouveraient l’emploi de leurs facultés, ils auraient une tout autre attitude. L’éducation qu’ils auraient reçue ne leur aurait permis, ni de méconnaître les exigences de la vie physique, ni d’oublier ce qu’ils doivent à leur patrie. Le vrai sage, selon Platon, prend part à la vie active, il s’intéresse à la chose publique et combat sur les champs de bataille. Il est athlète, soldat, musicien, magistrat, législateur, prêtre même avant d’être philosophe. La philosophie n’est pas pour lui un abri, un refuge, un asile qui permet de se soustraire aux devoirs de