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LA MORALE DE PLATON

Le platonisme se tient à égale distance d’Antisthène et des cyniques qui disaient : « J’aimerais mieux être fou que d’éprouver du plaisir, » et des apologistes, sans mesure, du plaisir. Sa morale est, comme celle d’Aristote, une doctrine de juste milieu ; elle enseigne, comme disaient les Grecs, la métriopathie. La vertu est la partie essentielle du bien et elle suffit à la rigueur. Voilà ce que Platon a longuement démontré et ce qu’Aristote répète après lui sans y insister autant, sans doute parce qu’il regarde la démonstration de son maître comme définitive. Le bien n’est vraiment complet que si à la vertu s’ajoute le cortège des biens extérieurs, tels que la santé, une certaine aisance, une bonne réputation et d’autres semblables. Voilà ce qu’Aristote met en pleine lumière et ce que Platon a dit avant lui. L’expression même dont se sert Aristote et qui caractérise sa doctrine paraît inspirée par un passage du Philèbe (63, E), où la vertu est comparée à une déesse escortée par les biens extérieurs : ἅς γε ἡδονὰς ἀληθεῖς καὶ καθαρὰς καὶ πρὸς ταύταις τὰς μεθ’ὑγιείας καὶ τοῦ σωφρονεῖν, καὶ δὴ καὶ ξυμπάσης ἀρετῆς ὁπόσαι καθάπερ θεοῦ ὀπαδοί γιγνόμεναι. Cette expression est devenue dans l’Académie et au Lycée une de ces formules usuelles qu’on répète volontiers parce qu’elles sont l’image exacte de la pensée. Les continuateurs des deux écoles ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, et quand ils eurent à défendre leur doctrine morale contre les stoïciens, les épicuriens et les sceptiques, c’est le nom de Platon aussi bien que celui d’Aristote qu’ils invoquaient.

On est si peu habitué à voir le plaisir et les biens extérieurs jouer un tel rôle dans la philosophie de Platon, ce côté de sa doctrine a été si souvent laissé dans l’ombre qu’il ne sera sans doute pas inutile d’insister sur un point si important. Ce n’est pas seulement dans les textes du VIe et du IXe livres de la République que nous avons cités, et dans le Philèbe tout entier, qu’il a formulé sa pensée. On la retrouve encore nettement exprimée dans un passage des Lois qu’on nous permettra de reproduire : « Le plaisir, la peine et le désir, tel est le propre de la nature humaine : ce sont là les ressorts qui tiennent suspendu tout animal mortel. Ainsi, lorsqu’il s’agit de louer la vertu aux yeux des hommes, il ne suffit pas de leur montrer qu’elle est en soi ce qu’il y