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LA MORALE DE PLATON

deux passages du Philèbe (33, F ; 55, A) et, plus clairement encore, dans le texte des Lois que voici : « Mon sentiment est que, pour bien vivre, il ne faut point courir après le plaisir, ni mettre tous ses soins à éviter la douleur, mais embrasser un certain milieu que je viens d’appeler du nom d’état paisible. Nous nous accordons tous avec raison sur la foi des oracles à faire de cet état le partage de la divinité. C’est à cet état que doit aspirer selon moi quiconque veut acquérir quelques traits de ressemblance avec les dieux » (Leg., VII, 792, D). Il n’y a sans doute pas contradiction entre cette théorie et la précédente. Outre le plaisir et la douleur, ou plutôt au-dessus d’eux, Platon admet un troisième état, qui ne résulte pas de la simple cessation du plaisir ou de la douleur, et qui est un état positif. Il l’appelle un état paisible, et c’est à peu près, si nous le comprenons bien, à cela près qu’il n’emploie pas le mot de plaisir, ce qu’on appellera plus tard le plaisir en repos. Il reste seulement à savoir si cette conception peut trouver une place légitime dans son système. Qu’est-ce, en effet, que cet état heureux, qui n’est pas un plaisir puisqu’il n’est pas un mouvement, et comment l’homme, soumis à la loi absolue du devenir, peut-il espérer de le réaliser, si peu que ce soit ? Comment, en outre, en le supposant réalisé, serait-il conciliable avec les passages formels du Philèbe où il est dit expressément que la sagesse, sans aucun mélange de plaisir, n’est pas un vrai bien. S’il s’agit des dieux, on voit bien que Platon craint de les rabaisser en leur attribuant le plaisir ; mais quelle idée pouvons-nous nous faire d’une félicité qui n’a rien d’agréable et ne participe en aucune façon de ce que nous appelons le plaisir ?

C’est sans doute pour résoudre ces difficultés, et aussi pour obéir aux exigences d’une analyse psychologique plus rigoureuse, qu’Aristote a profondément modifié la doctrine de Platon. Il réfute expressément les philosophes qui voient dans le plaisir une γένεσις ou une κίνησις (Éth. à Nic., X, 2, 1173, A, 31). Il démontre fortement qu’il est une réalité, οὐσία, une qualité, ποιότης (Ibid., 1173, A, 14 et 15). Il est de même nature que l’acte qu’il accompagne ; mais, pour en arriver là, il faut rompre avec le principe héraclitéen resté si cher à Platon, que tout est en mouvement ; le vrai plaisir est un