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LA MORALE DE PLATON

même les plus pleines de conjectures comme la musique, c’est-à-dire celles où l’on se contente la plupart du temps de l’opinion vraie, y trouvent leur place. Le bien n’est pas seulement la connaissance rationnelle, c’est toute espèce de connaissance pourvu qu’elle soit vraie. Seuls les faux plaisirs en sont exclus. À ceux qui voudraient ajouter un sixième élément à cette définition du bien, Platon oppose un vers d’Orphée (66, C) :

À la sixième génération cessez vos chants.

Aristote a reproché à Platon d’avoir rattaché sa théorie du bien humain à l’idée du bien en soi. Ce qui importe, dit-il aux charpentiers (Éth. à Nic., I, 4, 1097, A, 10), ce n’est pas de connaître le bien en soi, mais le bien humain. Il semble qu’il y ait dans ce reproche une injuste sévérité. On pourrait répondre, en effet, qu’il ne s’agit pas ici du charpentier, mais du sage ou du philosophe, et si, à la rigueur, l’un comme l’autre n’a besoin de connaître que le bien humain, il est du moins naturel que le second s’efforce d’approfondir une connaissance qui le touche de si près et de rattacher le bien à son principe le plus élevé. Au surplus, la connaissance même du bien humain, si on veut, comme il convient à des philosophes, la définir complètement, ne peut pas dans une philosophie comme celle de Platon rester isolée des autres parties, et il est indispensable d’indiquer la place qu’elle occupe dans le système. Le philosophe a donc eu raison de rattacher sa doctrine du souverain bien au principe de toutes choses. Malgré cette critique d’Aristote, il est aisé de voir que les deux philosophes sont d’accord sur le fond. Ils se sont posé le même problème, définir le souverain bien tel que l’homme peut le concevoir et le réaliser, et ils ont donné la même solution. Cet accord apparaît, pourvu qu’on y regarde d’un peu près, là même où le disciple a le plus complaisamment insisté sur les différences qui le séparent de son maître. C’est ce qui arrive en particulier pour la théorie du plaisir.

La doctrine de Platon se heurte à d’assez graves difficultés. Il soutient contre Antisthène que le plaisir a une certaine réalité ; avec Aristippe qu’il n’est qu’un phénomène ; contre Aristippe qu’étant un phénomène, il n’a pas assez de réalité